Déjà en temps normal voir ses enfants partir à la guerre ne l’enchantait pas. Mais cette fois-ci, elle savait qu’il fallait qu’ils partent pour tenter de retrouver les pommes et également Idunn. Odin pour une fois était sur la touche. Il voulait que ses enfants fassent leurs preuves. Elle pouvait le comprendre et elle espérait qu’ils reviendraient saufs. Mais surtout que Odin ne ferait pas de différence entre Thor, Tyr et Loki si les trois ramenaient les pommes. Si c’était le cas, elle ne resterait pas de marbre et elle irait voir son époux pour que les choses soient claires sur l’égalité de leur descendance. De son côté, elle avait entendu son mari lui dire qu’une quatrième quête serait à l’ordre du jour. Elle en fut surprise, mais l’avait écouté avec attention. Apparemment Asgard serait le lieu de cette mission. Alors pour une fois, elle décida d’y participer. D’habitude, elle devait rester au royaume. Même si prendre soin de tout le monde était quelque chose qu’elle appréciait, cette fois-ci elle avait décidé d’y prendre part. De plus, elle avait vu la tête de son fils Hermod quand Odin lui avait dit qu’il serait celui qui dirigerait les opérations. Elle serait donc là également pour protéger son fils. Evidemment, il était vaillant, mais en temps que mère, elle ne le laisserait pas partir loin d’elle aussi facilement. Après une dispute avec son mari, elle se retrouvait au milieu de tout le monde. Parce que oui Odin avait laissé ses fils s’occuper des quêtes, mais elle comptait également y aller. Evidemment, il lui avait dit que pour une fois, ils pourraient passer du temps ensemble, mais aujourd’hui, c’est elle qui n’en voulait pas. Elle savait ce qu’ils risquaient tous et elle ne pouvait pas rester là les bras croisés. Déjà qu’elle avait des visions qu’elle n pouvait changer, pour une fois, elle mettrait la main à la pâte. Restant en retrait, elle laissa son fils prendre la parole et expliquer le fonctionnement de la quête du jour. De son côté, elle avait repéré quelques visages familiers et saurait donc vers qui se tourner en cas de besoin. Equipé pour une possible attaque, elle décida de se rapprocher de son fils. Elle était là pour aider, mais également pour le protéger. Même si elle ne le dirait pas haut et fort, elle savait que Hermod prenait déjà cela comme une punition, pas besoin d’en rajouter.

Cette quête est aussi importante que celle de tes frères.

Elle savait qu’il en doutait fortement, mais elle serait là pour lui rappeler qu’il ne devait pas douter de cette mission et de lui même.

Ne doutes pas tes intentions de ton père. Nous savons comment il est, mais s’il t’a confié cette mission, c’est qu’il a confiance en toi.

Frigga était protectrice, peut-être même trop, mais elle savait aussi que son époux n’aurait pas envoyé leur fils ici, si c’était en vain. Tout en lui parlant, elle vérifiait les alentours, pour ne pas louper la pomme si elle était dans les parages. Ca n’était pas le moment de perdre sa concentration.

Secouées par un spasme discret, les feuilles du chêne s'étiolaient sous la pression de la brise, certain résistant, d'autres abandonnant la lutte et s'arrachant à leur univers, allant rejoindre leurs sœurs sur le sol fertile des bois. Un drame, un drame ignoré de tous, que seuls les plus attentifs peuvent observer. Le drame de la vie qui s'échappe, le drame de la vitalité qui s'évapore, le drame de l'existence qui s’éteint, pour renaître de ses flammes à travers la charogne, la moisissure. Piétinant les cadavres encore frais de ces êtres si faibles, les cervidés s'ébattaient sous les ramures rougissantes, alors que leurs prédateurs guettaient patiemment leur heure... Et lorsque l'heure sonnera, ces bêtes, si méprisantes envers les si petites feuilles, iront les rejoindre dans la pourriture, permettant la naissance de celles-là même qu'elles ignoraient. Un cycle, éternel, sans fin.

Se tenant à l'orée de la forêt, un groupe, disparate, comprenant la déesse vieillissante aussi bien que le fort guerrier sanguinaire, semblait se préparer. Se préparer à entrer à l'ombre des arbres, se préparer à troubler un écosystème si savamment travaillé, si précautionneusement façonné. Perché sur l'une des branches de ce même chêne si malmené par le vent, il les observait, il les entendait, il les voyait. Mais eux ne le voyaient pas, non, il avait bien pris soin de se camoufler, de se draper d'illusions, afin de sembler être qu'un avec l'arbre. La pleine Lune approchait. Il sentait ses forces grandir, mais trop peu. Trop peu, beaucoup trop peu. Le temps pressait.

Divers sentiments se mêlaient, s'entrechoquaient, se combattaient, dans l'esprit complexe de l'invisible. Soulagement, joie, à se tenir à nouveau librement, légalement, au sein même d'Asgard ? Inquiétude, profonde, dangereuse, à l'idée de la disparition d'Idunn ? Ressentiment à la vision de Frigga, la reine des Ases, l'une de ceux qui l'avaient exilé ? Amusement, devant la perspective d'une chasse dans les bois afin de trouver les pommes volées ? Ou alors, toutes ces humeurs, mêlées dans un enchevêtrement instable, susceptible de se briser et de sombrer dans le chaos à tout moment ? La dernière réponse serait bien plus exacte, bien plus judicieuse, si l'on souhaite coller une étiquette à l'état d'esprit de la Lune.

Alors que leur chef, l'un des fils d'Odin – Odin, le méprisé, Odin, le détesté – terminait son discours, destiné à... motiver les troupes, l'embusqué jeta à bas ses mirages, laissant son corps reprendre sa consistance habituelle et cesser de répandre l'éclat, prenant place au sein de la compagnie. Surgissant de manière inattendue, alors que son esprit était plus ou moins concentré, une part veillant sur son astre, il causa un certain mouvement de surprise parmi les chercheurs. S'approchant de leur « commandant », il jeta un œil à sa carte avant de rire doucement, en sachant qu'elle était désuète, l'un des ruisseaux représentés ayant changé de court depuis.

« Le Soleil est froid, Sol elle-même peine à éclairer convenablement les mondes... Serions-nous aveugles que nous devrions quand même tout faire pour retrouver ces pommes... », murmura-t-il, plus pour lui-même que pour les autres, levant ses yeux vers le cieux où sa sœur guidait son étoile.

Ces quêtes, de nouvelles, encore, elle avait l’impression que c’était la même qui se répétait à l’infini et cela la rendait folle. Encore d’autres missions infructueuses qui ne faisaient que mettre en danger les hommes et les femmes d’Asgard, rien de plus. Personne ne savait réellement où chercher et comment mais tous y allaient de bon cœur, ce n’était pas la meilleure façon de faire mais elle se gardait bien de dire ce qu’elle en pensait, là ne se trouvait pas son rôle. Ce fut néanmoins un déchirement de voir son époux quitter le cocon familial pour une durée indéterminée et lorsqu’elle eut vent de la mission d’Asgard, elle sauta sur l’occasion de se rendre utile. Elle n’était pas qu’une mère et une épouse, autrefois, elle prétendait au rôle de valkyrie et elle possédait encore de bons restes. Abandonnant ses voilures et frusques de femme de la cour, elle enfila des braies et une chemise, quelque chose de confortable pour crapahuter dans les bois, n’oubliant pas de se munir d’armes, personne n’était jamais à l’abri, surtout pas la famille proche de Loki. Cette mission était également l’occasion de montrer qu’il n’y était pour rien dans l’enlèvement de sa sœur et de montrer qu’elle ressentait autant d’inquiétude que le reste de la cour. Mais certainement pas concernant le maître des opérations. Hermod se sous-estimait et d’ailleurs, une bonne partie du royaume n’avait qu’une vision déformée de la personne qu’il était mais Sigyn avait la certitude qu’il ne se trouvait pas là par hasard et qu’il ferait le nécessaire pour mener à bien cette quête qui avait davantage des allures de vaste mascarade que de réelle mission. Elle salua sa reine d’une révérence et d’un large sourire, remarquant que bon nombre de femmes étaient toutes de voilures vêtues, comme si elles étaient là pour une énième balade, ce qui lui fit lever les yeux au ciel. Elle ne put s’empêcher de se sentir désespérément seule mais n’en laissa rien paraître, affichant ce sourire bienveillant que tous lui connaissaient. A ses côtés, une jeune femme qui lui disait vaguement quelque chose et qui dispensa les gens alentours d’une remarque perspicace qui élargit le sourire de la déesse. Bon sang, où l’avait-elle vu ? « Si les yeux suffisaient, on les aurait retrouvées depuis bien longtemps, je suppose qu’il faudra se montrer acharnés et sensibles au moindre signe. » lui répondit-elle avec douceur. « N’êtes-vous pas l’une des suivantes de dame Sif ? » Oui, cela ne pouvait être que ça si on s’attardait sur les regards réprobateurs de certains. D’autres questions lui brûlaient les lèvres mais elle aperçut du coin de l’œil un homme surgir des bois et il attira son attention une bonne minute avant qu’elle ne réalise que c’était beaucoup trop long et qu’elle pose son regard ailleurs. Il était peut-être temps de se mettre en branle, avant que les dernières commères de la cours ne finissent par changer d’avis et faire surface pour les rejoindre. Ce serait terrible !

Voir que les membres d’Asgard prenaient part à cette quête était agréable. Tout le monde voulait aider, chacun à son échelle. Seulement, elle avait bien vu chez son fils un certain mécontentement. Il était sur une quête bien différente de celle de ses frères, mais ça ne voulait pas dire pour autant, que ça n’était pas important. Frigga était là pour vérifier que Hermod ne risquait rien, mais également pour aider en cas de besoin. Chose qu’Odin n’acceptait pas, mais elle s’en fichait royalement pour une fois. Allant vers son fils, elle voulait lui faire comprendre que même à petite échelle il pouvait changer les choses. Aux paroles de sa progéniture, elle comprenait son énervement. Il est vrai que Thor, Tyr et Loki étaient partit dans des endroits bien plus effrayants. Mais après tout, chaque mission avait pour but d’aider et celle-ci en faisait partit. Des fois, elle aurait aimé donner à ses fils une vision d’ensemble des choses. Mais, ça c’était impossible malheureusement. En tout cas, elle veillerait sur lui et sur les gens également présents.

Ne sois pas désolé. Je comprend ce que tu veux dire Hermod.

Elle posa sa main sur sa joue et lui sourit. Sa colère était justifiée pour lui et elle le laissa aller voir les autres. Puis, quand il reprit la parole, elle se mit sur la ligne faite par tout le monde et garda ses sens en éveille pour ne rien louper. Elle savait que Odin n’était pas très confiant sur cette quête. Non pas sur son niveau de dangerosité, mais plutôt sur le fait que ça ne servirait sans doute à rien. Hermod avait donc raison quelque part, mais Frigga n’acceptait pas une telle chose. Elle espérait que tout le monde serait en sécurité et elle ferait tout son possible pour que ça soit le cas. Elle était une guerrière, malgré ce que tout le monde voyait d’elle et saurait user des armes s’il le fallait. De plus, elle maniait la magie et pourrait aider également de ce côté-là. Toujours attentive, elle entendit finalement quelqu’un lui parler et reconnu la voix avant de voir la personne. Levant la tête, elle sourit à Ràn. En la voyant incliner la tête, elle en fit de même.

A chaque fois, c’est dur de les voir partir, mais encore plus aujourd’hui. Ils ne sont plus immortels et tout peu arriver.

C’était ça qui lui faisait peur. Le fait que ses fils ne reviennent pas en vie. Elle ne le supporterait pas. Aucun parent ne devrait voir la mort de ses enfants et elle savait que Ràn avait vécu ça. Alors, elle ne préféra pas s’étendre sur le sujet.

Merci à vous de venir nous aider ici. Je ne savais pas que vous viendrez, mais une force supplémentaire ne sera pas de trop.

En effet, chacun avait ses forces et ses faiblesses, alors il pourrait être utile d’utiliser de chaque talent. Mais Frigga fut intrigué par l’exclamation de la servante de Sif. Tournant la tête, elle suivit l’endroit qui était indiqué. Une pomme se tenait là. La regardant s’élancer, elle savait déjà que Hermod allait dire d’attendre, mais c’était trop tard. Cependant, la pomme disparue, avant de réapparaître plus loin et d’autres se firent également voir. A l’écoute des paroles de Roskva.

En effet, la magie est bien présente.

Même si la magie n’avait pas de corps physique, elle pouvait la sentir. Seulement, il faudrait redoubler d’attention et ne pas se précipiter. Fronçant les sourcils, Frigga comprit alors une chose. Les pommes se multipliaient par la magie et Idunn était invisible à tous, mais encore plus au regard d’Heimdall. Qui pouvait faire une telle chose ? Loki. Elle avait espéré que ça soit faux, mais désormais, elle en doutait fortement. Elle n’en dit pas un mot, mais dès le retour de son troisième fils, elle irait lui parler.

Comment voulez-vous qu’on procède ?

Elle avait dit cela à son fils. Il était le chef de cette quête, à lui de prendre les décisions. Même s’il doutait de cette mission, elle lui ferait comprendre qu’elle est aussi importante que les autres. Mais, il devait être prudent avec la magie.

Surprise, incompréhension, stupéfaction. Des sentiments communs, des sentiments appréciés par le dieu de la Lune, qui aimait les provoquer. Toutefois, perdu dans le fil tortueux de ses réflexions, il remarqua à peine la déesse qui le fixait, ne lui accordant qu’une part infime de son attention, de sa conscience, guère assez pour que cela n’influence ses pensées. Dédaigneux, le faible nombre qui semblait le reconnaître se détourna rapidement de lui, ne lui portant que mépris. Curieuse chose que l’esprit divin, sur lequel l’homme est calqué, copié. Banni, châtié pour une faute qu’il n’avait pas commise, envoyé au loin, c’était, néanmoins, lui qui était moqué, ignoré, alors qu’en toute justice, le seul qui aurait pu avoir le droit d’afficher une quelconque répugnance, c’était bien le fils de Glaur.

Sans surprise, ce fut leur… chef, Hermod, l’un des seuls Ases fréquentables aux yeux de Mani, qui lui adressa en premier la parole. Un enfant, trébuchant encore dans l’immensité de son immortalité, mais un camarade convenable, appréciable. Sous-estimé par beaucoup, ce messager était cependant, selon la Lune, l’un des plus prometteurs de sa génération, destinée à prendre le relais des divinités vieillissantes, croulantes. Vestiges d’un autre temps, ces seigneurs que sont Odin, Heimdall, ainsi que tous les autres, sont déjà dépassés, affaiblis par les ravages de la longue vie qui est la leur. En m’exilant, tout compte fait, ils m’ont offert une chose hors de leur propre portée : la véritable immortalité, celle qui permet de vivre à jamais dans les mémoires, étant liée à l’essence même de la création.

Questionné, mis à l’ouvrage, ses réflexions se perdirent dans l’immensité de sa mémoire, cherchant les détails pouvant servir, analysant les données enfouies depuis des siècles. Le regard vide, il était absent, se tenant droit, devant le fils d’Odin. Frémissant sous la brise forestière, ses cheveux étaient parcourus de frissons alors que les rayons de sa sœur réchauffaient sa nuque. Frissonnement, frissonnement, il savait qu’il n’était plus seul, que, du haut des nuages, quelqu’un l’observait et l’aidait du mieux qu’elle pouvait. Revenant parmi les vivants, il daigna formuler une réponse, alors que Frigga terminait son discours, adressé à son rejeton, des plus humiliants pour lui.

« Le ruisseau, là, à gauche, a dévié de son cours depuis. Un arbre, abattu, traverse maintenant cette clairière… Malgré ces quelques changements, les terres d’Asgard demeurent pratiquement toujours les mêmes, identiques à ce qu’elles étaient lorsque nous courrions dans ces bois, avant que… », dit-il doucement, tout en pointant du doigt les endroits mentionnés, pour ensuite s’interrompre brutalement avant de lever la tête et regarder l’épouse d’Odin.

Mais voilà, cette fixation, fruit d’une absence passagère, fut interrompue par un ordre de leur dirigeant, qui leur ordonnait de se mettre en mouvement. Suivant le groupe, il avançait cependant dans le sillage des chercheurs, préférant se tenir le plus loin possible de ces dieux âgés qui occupaient le centre. Oh, mais que voilà ? Une pomme ? Une illusion ? Peut-être les deux ? Contrairement à la mortelle qui s’empressa de sauter sur celle qui lui faisait face, il demeura à une distance respectable de l’objet de convoitise, suspectant quelque sorcellerie, se méfiant d’une apparition aussi fortuite. Et elles disparaissaient lorsqu’on les touchait, elles se multipliaient… Questionnement de Frigga, qui engendra en lui une réponse immédiate, instantanée, entre deux personnes s’y connaissant en mirages.

« À savoir, toutefois, si ces pommes sont bien… matérielles, ou encore sont-elles le fruit d’un quelconque enchantement… » Une question subtile, que seuls les connaisseurs pourront comprendre.