Accoudée à l'une des multiples balustrades du jardin, le regard dans le vague et une fleur à la main, Amora rêvassait. Ou tout du moins paraissait-elle le faire. Il eut fallu faire abstraction de sa pose lascive, de son regard bleu perdu dans la ville en contrebas, de la façon dont le soleil sublimait sa beauté naturelle et avoir un véritable don de télépathie pour réaliser que sous cette apparence charmante tournait les rouages bien huilés d'un esprit froid. Rien n'avait été laissé au hasard. Ni sa coiffure, ni sa tenue, ni sa pose, ni même l'endroit où elle était installée. Tout avait été savamment étudié pour que les gens tombent sur elle et la voit. Elle était à l'égard d'un chemin principal mais en vue de presque tous les promeneurs. Et loin de rêvasser l'Ase puisait dans le panorama la motivation quotidienne. D'où elle se tenait elle pouvait presque voir la rue où elle avait grandi.


Vivre dans l'ombre d'un palais d'or avait parfois des effets étranges sur les gens. Les Ases compris. La mère d'Amora, Inga, en fut-elle l'innocente victime ou bien reporta-t-elle ses ambitions sur son aînée, personne ne put le dire. On nota simplement que dès le départ, Inga répétait à qui voulait l'entendre que son « petit miracle », sa « princesse » était « destinée à faire de grandes choses ». La mère d'Amora vantait à tous ses proches la beauté, l'intelligence et les talents de sa fille, tout en susurrant à l'oreille de l'enfant qu'il lui suffisait de lever les yeux pour voir son avenir. Lorsque la gamine diligente s'exécutait son regard passait à travers la fenêtre de leur petite maison, s'envolait vers le ciel et accrochait le bâtiment éblouissant qui occupait tout l'espace. Son futur s'écrivait en lettres dorées avec les grands de son monde mais parce que l'univers avait eu le mauvais goût de la faire vivre, sa famille et elle, dans un l'humble milieu des roturiers ases, elle devrait travailler dur pour s'élever au-dessus de la masse.


Avec un sourire, Amora se rappela la petite d'alors. Première arrivée et dernière partie de chez le précepteur que ses parents payaient à prix d'or pour l'éducation de leurs enfants. Elle plongea dans ses souvenirs en essayant de retrouver le moment où le monde s'était divisé en deux entre ceux qui l'aimaient et ceux qui...


« Vois plus loin que votre petit jeu, Amora Eileldóttir… Vous pensez peut-être que vous réussirez à ensorceler tout le monde mais je ne suis pas aussi manipulable. » L'homme qui parlait était jeune, raide comme la justice et s'il n'était pas complètement repoussant, il y avait quelque chose chez lui de déjà défraîchi. Il me fait penser au grenier de mémé avait murmuré Lorelei un soir alors que leurs parents les avaient envoyées au lit. Maintenant qu'il se tenait planté en face d'elle le visage renfrogné, constipé presque, Amora ne pouvait que donner raison à sa cadette. Elle irait même plus loin. Le précepteur Stigr ÉTAIT le grenier de mémé. La personnification de toutes les pièces sales et glauques, qui sentaient le renfermé et abritaient des araignées.

L'image alluma une lueur amusée dans les yeux de la gamine, vite refrénée par son éducation impeccable et des réflexes déjà bien affûtés. On n'essayait pas de discuter avec les adultes. On les manipulait lorsqu'on le pouvait sinon on attendait son heure. Et s'il y avait une technique dans laquelle la jeune Amora était passée maître c'était celle de se faire plaindre. Elle piqua du nez vers son bureau et laissa les larmes envahir ses beaux yeux bleu en fronçant le nez. Sa petite main délicate serra sa plume comme elle enfonçait ses dents dans sa lèvre inférieure. Le tableau était parfait. Elle avait l'air d'une petite martyre injustement agressée par un précepteur trop zélé. Les autres enfants n'y résistaient pas. Ils se battraient pour la consoler plus tard et raconteraient tous la même histoire à leurs parents ce soir. Avec un peu de chance, Lorelei se précipiterait au secours de sa sœur en expliquant à ses parents le traitement dont elle avait été victime. En définitive, le blâme retomberait sur Stigr et elle gagnerait un peu plus d'influence au sein de son groupe.



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