For the word that stings the deepest is the word that is never spoke, Let him wrangle till the storm has blown away, then he'll do a heap of thinking about the things you didn't say...

LDès lors qu’on l’avait informé qu’il était mandé par son Roi et Père, Tyr s’était fait une raison. Et plus qu’une raison, il s’était surtout dument armé. Il avait levé herses et palissades à l’intérieur de son esprit, il avait plongé dans la glace puis mit sous clé cet organe dérangeant qui palpitait à l’intérieur de sa poitrine ; quant à sa fierté, la pauvre avait écopée du traitement le plus drastique. Le Dieu Guerrier lui avait creusé une tombe, car il y avait fort à parier que les mots futurs échangés avec son Honorables géniteur achèvent ce qu’on lui avait déjà copieusement estropié par le passé.

Depuis l’orage terrible qui avait ébranlé toute la ville et qui semblait encore faire échos à l’intérieur du palais, l’esprit prolixe du stratège avait d’ores et déjà envisagé tous les scénarios susceptibles d’expliquer les éclats du Premier Prince d’Asgard. Et si Tyr n’avait jamais ressentit beaucoup de tendresse pour son demi-frère, il l’avait côtoyé plus d’un millénaire, guerroyé à ses côtés d’indéchiffrables fois et, liés par le sang qu’il le veuille ou non, il avait sentit la rupture jusque dans sa chaire cette nuit-là. Que cela soit de par sa nature empathique ou son sens aiguisé de la logique, il avait comprit sans aucun mal le langage des eaux diluviennes et du ciel tourmenté. Le langage de Thor.

La Justice avait aussitôt tirés certaines conclusions qu’il se bornait encore à nier tant qu’Odin lui-même n’aurait pas confirmé ses doutes. Une part importante de lui souhaitait vivement le voir nier une fois de plus, quand l’autre part - celle qui terminait d’enterrer sa fierté suffocante – s’était déjà résignée.

Ainsi donc, sobrement vêtu de cuir comme à son habitude, l’épaule et le bras droits entièrement dissimulés sous une interminable cape en fourrure de warg gris, Tyr s’était présenté à son père comme l’avaient fait Bragi et Balder. Respectueusement, il s’était incliné devant le Père de tout, avait salué ses cadets d’un bref mouvement de tête, puis s’était installé pour écouter. Muré dans son imperturbable silence, le visage sombre et fermé, il ne desserra pas une seule fois les dents, pas même lorsqu’il leur fut confirmé que le Doré avait prit la tangente comme un lâche, pas même lorsque l’œil aigri et voilé d’Odin se posa sur lui pour le charger sans fioritures de l’intérim, pas même lorsqu’on évoqua la félonie révulsante de Freyja qui succédait à celle de Frey, pas plus qu’il ne réagit à l’évocation oppressante de possibles enlèvements parmi les princesses.

Pour l’instant d’ailleurs, il ne ressentait encore rien de particulier. Pas de rancœur, pas de peur, pas de colère. Il n’en savait pas encore assez pour laisser libre cours au moindre sentiment susceptible de le priver de sa précieuse réflexion. Il n’eut même pas besoin de poser les premières questions lui-même puisque le benjamin s’en était chargé et qu’il était inutile de se faire l’écho de ses mots. De la patience, Tyr en avait à revendre et quoi qu’il arrive, il aurait ses réponses aujourd’hui.

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Odin semblait se croire le géniteur d’une bande d’idiots mal dégrossis, et il était vrai qu’aucun des fils légitimes du Père de tout n’avait hérité de la superbe du Prince Doré. Néanmoins, croyait-il vraiment qu’ils allaient se satisfaire d’une réponse aussi creuse et évasive ? Les questions lancées par le benjamin de la fratrie avaient pourtant été formulées si clairement, si explicitement que Tyr lui-même n’avait pas ressentit le besoin de surenchérir. Sûrement l’aurait-il dut car déjà le sujet de Thor se voyait noyé par de sombres histoires d’alliances et de trahisons qui jetèrent un froid glacial sur la discussion naissante, détournant très intelligemment l’attention des Odinson.

Seuls contre tous.
C’était là le constat abrupt qui résumait la tirade du Roi. Tous leurs alliés s’étaient détournés d’eux pour rallier la Terre, avaient brisés leurs sceaux et leurs serments, avaient tournés le dos à leur Seigneur et Père. Des millénaires à combattre côte à côte, piétinés par quelques rumeurs, une moralité mal placée et l’avidité des hypocrites. Y avait-il seulement le moindre retour en arrière possible désormais ? Que leur restait-il ? Un trône brisé, un palais d’or terne, et le vide béant que laissait leur aîné derrière lui. Qu’étaient-ils sensés faire dans de telles conditions ? L’univers tout entier semblait conspirer à leur perte, et si leur ahuri de prince héritier avait daigné les honorer de sa présence un rien plus longtemps, peut-être aurait-ils pu envisager de tenter l’intentable, ce que les conjonctures actuelles rendaient impossibles. Les calculs et pronostiques qu’effectuaient son esprit presque malgré lui ne lui dépeignaient que sang et souffrance. La défaite était leur, peu importe la manière dont il retournait cette inextricable situation.

Une fois de plus pourtant, le puîné fut arraché de ses réflexions par une nouvelle alarmiste qui termina de gâter totalement son humeur. Si Tyr pouvait garder la tête froide face au départ inopiné d’un frère encombrant, ou face à la trahison haïssable d’une bande de menteurs, il était bien incapable de reste stoïque face à cette dernière nouvelle.
De toutes ses forces, il tenta de réprimer cette montée brûlante et soudaine, mais la colère de feu l’emporta sur celle de glace. De frustration mal contenue, le poing crispé du jeune Dieu vint s’abattre sur le bois de la table dans le silence quelque peu surpris qui succédait aux déclarations d’Odin. L’œil unique du Roi ainsi que ceux de ses deux plus jeunes fils convergèrent sur lui, mais son regard sévère n’en rencontra pas un seul. Il avait préféré clore ses paupières pour tenter de calmer Guerre qui tempêtait, tambourinait, rugissait au sein de son esprit.

« Il a … ‘trouvé le moyen’ ? répéta le fils, un très bref sourire aigre venant déformer ses traits avant de disparaître à nouveau. Le croyait-il incapable de la moindre corrélation ? Et cette évasion soudaine n’a bien entendu … rien à voir avec l’étrange fait qu’Heimdall lui-même soit incapable de localiser Sif et Thor. Cette fois, ses yeux se rouvrirent, qu’il planta ensuite sur le visage usé de son père. Les conclusions à tirer étaient évidentes. Du moins elles l’étaient pour lui, plus que pour aucun autre sans doute, car il avait passé sa vie coincé entre Thor et Loki et savait pertinemment de quoi ces deux là étaient capables une fois réunis. Si ni Vous ni Mère n’utilisez votre magie pour dissimuler Thor, c’est uniquement parce que c’est le Vicieux qui s’en charge, et il s’en charge parce que Thor le lui a demandé » Ce traître, s’empêcha-t-il d’ajouter.

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Il y a plusieurs centaines d’années, sans doute Tyr aurait-il bien mal vécu les présentes remarques de son Seigneur et père. Sans doute se serait-il intérieurement fustigé, persuadé qu’il avait tous les tords, et que le simple fait d’avoir provoqué le mécontentement de son géniteur le rendait coupable d’être un mauvais fils. A aucun moment n’aurait-il remit en question les paroles d’Odin car durant bien longtemps, il avait vécu et agit en étant intimement persuadé que son père possédait toute les réponses. Plus encore, qu’il possédait la Vérité. Il avait donc longtemps pensé que si Odin ne s’était jamais intéressé à lui outre mesure, c’est parce qu’il n’y avait pas lieu de le faire, tout simplement. C’est pour cela qu’il s’était de tout temps échiné à viser la perfection. Être le plus raisonnable, être le plus sage, le plus studieux, le plus fiable, le plus réfléchi, le plus courageux et le plus Princier possible.
Inutile de dire qu’il avait essuyé bien des déceptions car peu importe ses efforts, Odin s’était entêté dans son désintérêt et son mécontentement chronique … et le temps y aidant, il s’était résigné, avait rangés ses attentes au fond d’une malle et s’était contenté de faire et de dire ce que l’on attendait de lui.

Les mots choisis par son père parlaient d’eux-mêmes après tout. Il devait se garder d’exprimer le fond de sa pensée. Il n’était tout juste pas attendu de lui qu’il exprime le moindre avis ou sentiment personnel sur tout cela. Il était attendu de lui qu’il trouve une stratégie, sans faire de vagues, sans poser de questions. Un exécutant désincarné et mécanique, c’est ce qu’Odin voulait de lui.
Alors soit. C’est ce qu’il serait.

Tyr préférait la pseudo tranquillité que lui conférait son invisibilité car la preuve une fois de plus : chaque fois qu’il avait essayé d’agir autrement, chaque fois qu’il avait tenté de faire valoir quoi que ce soit, on s’était juste contenté de l’estampiller de jaloux. Ce mot-là, Tyr se l’entendait rabâcher depuis des siècles, à toutes les sauces, sur tous les tons. Un jaloux, voilà tout ce qu’il était dès lors qu’il osait faire montre d’un avis propre ou manifester un quelconque mécontentement. Jaloux d’Odin, jaloux de Thor, jaloux de Loki. Un terme réducteur et accablant, pour désigner tout ce qu’il pouvait bien penser et ressentir qui lui était propre. Dans leurs yeux, il se résumait à cela. Il regrettait d’être incapable de se faire comprendre d’eux et regrettait le désintérêt, mais les choses étaient ainsi, et que pouvait-il faire, si ce n’est les assumer ?
C’est ce que l’on attendait de lui.
Alors soit. C’est ce qu’il ferait…

Quoi qu’il en soit, la nouvelle à propos d’Aegir le rendait aigri. Si même le souverain aquatique se détournait d’eux, c’est bien simple : ils étaient seuls contre tous. Odin avait donc raison, un affrontement direct de leur armée serait un bain de sang, aussi bien d’un côté que de l’autre. Tyr estimait les pertes à plus de la moitié de leurs effectifs. Dans ces conditions, même s’ils remportaient finalement la bataille, ils avaient plus à y perdre qu’à y gagner.

« Si le but est d’empêcher une bataille, alors je préconise l’organisation de Pourparlers en terrain neutre – sur Midgard. Ils savent que nos forces restent conséquentes, je penses qu’ils accepterons le dialogue s’il y voient la chance de ne pas être amputé d’une partie de leur force de frappe, intervint donc l’aîné, le regard préférablement tourné vers ses frères. Mais qui dit Pourparlers dit revendications, et j’ignore si nous serons en mesure de satisfaire à leurs exigences … »

Cette fois, son regard coula en direction du père de la fratrie.
N’était-ce pas sa chute pure et simple que réclamaient leurs opposants ? Si Thor avait toujours été l’héritier au trône, nul doute que Jörd aurait sans doute pu envisager une abdication en faveur de sa si précieuse progéniture. Peut-être se serait-elle satisfaite de cette solution. Mais Thor disparu, leur argument de poids avait disparu également. Fort de cette pensée, il reprit rapidement la parole avant que les premières réactions ne se fassent entendre :

« Malheureusement, sans Thor à nos côtés, je crains que tous nos arguments ne sonnent creux »

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Les premiers mots que le Père prononça en réponse tirèrent un soupir las mais discret au fils. Baissant le regard, il lorgnait la table sans la voir, son attention toute entière dédiée à la voix profonde et sans âge de son souverain. Ce qu’il entendait là était exactement ce qu’il avait redouté d’entendre en se voyant convier à ce conseil de famille. Une part de lui refusait de l’accepter et continuait de penser qu’une tentative de pourparler, même quelque peu vaine, se devait d’être faite, ne serait-ce que pour leur propre conscience, afin qu’ils puissent affirmer sans détour que oui, ils avaient tout tentés, tout fait dans l’espoir de pouvoir en sauver le plus grand nombre.
Mais comme toujours, son avis n’était jamais tranché, jamais entier. En lui existait une autre voix, plus radicale, et pour qui ces pensées n’étaient ni plus ni moins que quelques épanchements naïfs, quelques illusions de jeune Dieu inexpérimenté qui ne cherchait qu’à se voiler la face, pour se préserver d’une réalité qui promettait d’être bien cruelle.

Comme il en voulait à Thor de ne pas être là, de compliquer plus encore la situation par son absence. Des siècles durant il s’était imaginé à quoi aurait pu ressembler sa vie sans la Foudre, s’imageant un quotidien plus serein, plus accompli.
Et quelques jours après le départ effectif de son aîné, voilà qu’il ne pouvait plus décolérer de le savoir loin. Bien sûr, la situation actuelle jouait son rôle, mais quand bien même, l’habituelle ironie de son sort ne lui échappait pas. Les Nornes elles-mêmes semblaient sournoisement lui susurrer quelque chose comme ‘tu désirais une vie sans la Foudre ? Vois maintenant, observe bien. Le ciel est-il désormais sans nuages ?’.
La réponse était non évidemment. Son frère disparu, l’horizon se faisait plus sombre encore.

C’est la mention du fils d’Elyas qui lui fit redresser le chef, son regard sombre se plissant sous le coup de la réflexion. Après tout, n’avaient-ils pas pour eux une bonne portion de la progéniture de ces parjurés ? Le fils d’Elyas, les filles de Freyja, peut-être y aurait-il quelque chose à tirer de ce maigre atout ? L’avenir seul le lui dirait.

Quant à l’indépendance de Vanaheim, son avis à lui se voyait plus mitigé que celui de son Illustre géniteur. S’il fallait leur céder cette faveur pour conserver l’intégrité des Royaumes, alors pour Tyr, cette option devait être envisagée. Certes, cette action engendrerait son lot de réactions, ainsi allait l’Ordre du monde. Mais lorsqu’une armée de Jotun avides débarqueraient sur leurs terres, pour saccager leurs villages, ruiner les récoltes, massacrer les populations, ils regretteraient amèrement l’absence de leurs troupes et pourraient même revenir d’eux-mêmes à la raison. Asgard pouvait sans mal subsister seule, elle le prouvait en ce moment-même. Mais qu’en était-il de Vanaheim ? Le meilleur moyen de le savoir et de se débarrasser une bonne fois pour toute de leur puéril arrogance était selon lui de les laisser essayer, et surtout de les laisser s’y casser les dents.

Il garda néanmoins cet avis pour lui, conservant le silence tandis qu’il se redressait en même temps que son père pour saluer son départ. A son ordre direct, il acquiesça aussitôt, confirmant muettement qu’il s’exécuterait dès aujourd’hui. Il ne cilla pas lorsque l’œil unique de son père se posa sur lui tandis qu’il explicitait ses attentes envers eux. Il se contenta de s’incliner respectueusement lorsque le Roi se détourna enfin, arquant un sourcil lorsque fut évoquée l’arme de son frère. L’image mentale de ce marteau démesuré qui l’avait agacé toute sa vie planté dans l’assise du trône pour ne plus en bouger lui tira un nouveau soupir las. C’est un œil morne et blasé qu’il tourna vers ses cadets. Un bref mouvement de tête, c’est d’ailleurs là tout ce qu’il leur accorda comme salut avant de se détourner à son tour, son esprit déjà tout entier dédier à la suite, qui se promettait d’être mouvementée…