Asgard, Cité Éternelle, royaume des Ases et des plus puissants des Dieux. Lorsque je me prenais à imaginer mon retour dans le royaume de mon grand-père, j'imaginais respect, autorité, peut-être même admiration. La petite fille que j'avais été m'avait supplié pendant des semaines de ne pas faire de pas de travers, de ne pas succomber à la facilité et à la haine. Je m'étais fait une promesse, celle de leur montrer à tous qui j'étais, et qu'ils s'étaient tous trompés sur mon compte. Ils avaient osé me juger alors que je n'étais qu'un nourrisson, ils avaient jugé le livre par sa couverture. Pire encore, par ses origines et son auteur. On parle bien souvent des hommes comme étant dénués de jugement et de conscience morale, mais ces dieux, dans leur superbe et leur arrogance, m'avaient prouvé plus qu'à leur tour qu'ils ne valaient pas mieux que de simples midgardiens. Peu de ces divinités adorées m'avaient tendu la main. A vrai dire, ceux qui m'avaient acceptés, je les compte sur les doigts d'une seule de mes mains. Beyla faisait partie de ceux qui ne me craignaient pas, mais était bonne avec moi. Je pensais même qu'avec le temps, nous pourrions nous lier d'une amitié sincère, mais il était encore trop tôt pour le dire. Beyla m'avait ouvert sa porte, et lorsque je me trouvais à Asgard, c'était chez elle que je logeais, et pour elle que je venais, surtout. Je ne connaissais pas grand monde, à part Loki, devant lequel je me pâmais à la moindre occasion, et Odin, que je fuyais comme la peste. De toute manière, depuis que ce-dernier n'était plus roi, on ne le voyait plus beaucoup en public. Des quelques fois où je m'étais rendue sur Asgard, je n'ai pas non plus eu l'occasion de présenter mes hommages au roi Thor, mon oncle, et par conséquent, je n'ai aucune idée de ce à quoi ressemble la reine Sif non plus. Je savais par Ràn qu'elle était une de ses descendantes, mais je n'avais rien appris de plus. Je comptais donc fermement aller me présenter au roi lors d'un de mes prochains voyages à Asgard, mais chaque fois que je me trouvais dans la Cité Éternelle, je repoussais cette échéance.

Asgard était certainement la plus belle cité d'Yggdrasil. D'après Beyla, c'était un endroit merveilleux et harmonieux où il faisait bon vivre. Mais visiblement pas pour tout le monde. Où que j'allais, peu importait avec qui je me trouvais ou simplement devant qui je passais, tout ce que je récoltais de la cité dorée était des insultes, des sifflements, des chuchotements. On ne voulait pas de moi ici, ni nulle part ailleurs. Il faut croire que l'on peur faire tout ce que l'on veut, la multitude ne se souviendra jamais que de vos mauvaises actions, et non des bonnes. Il est impossible de se racheter au sein de la communauté divine. J'étais un paria depuis ma naissance, je resterai un paria.
Je traversais la Cité la tête haute, le regard bien planté droit devant moi, la démarche digne et fière. Je n'avais pas le choix, il fallait que je traverse la Cité pour rentrer chez Beyla. J'avais mal, j'avais peur. Peur qu'ils voient à quel point je suis fragile à l'intérieur. Peur que les sanglots que je retenais commencent à couler trop tôt. Peur d'être plus malmenée encore, et surtout peur que toute cette mascarade soit un synopsis du reste de mon existence. Je n'étais pas la bienvenue à Asgard, et tout portait à croire que je ne l'aurai jamais été.

Je marchais rapidement dans Asgard, ville que je ne connaissais pas très bien, et où je me perdais souvent. Elle n'avait plus l'air de rien la reine de l'Helheim. Je semblais tellement plus menaçante quand personne ne m'avait jamais vue, quand j'étais reléguée à l'état de rumeur, de mythe... Maintenant, toute la communauté des dieux savait que je n'étais pas bien grande, pas bien grosse, assez frêle, et d'une pâleur semblable à celle de la lune. Elle semblait malingre, malade, enfantine, la Souveraine des Enfers. En Helheim, j'étais reine, à Midgard, j'étais chez moi. A Asgard, j'étais une paria. Un petit groupe de personnes se faisait un malin plaisir de me suivre, et au fur et à mesure, de plus en plus de personnes s'y ajoutait. Je ne lançais pas un seul coup d’œil derrière moi, mais je les entendais, je les sentais. J'étais terrorisée. Je ne savais même plus où mes pas me menaient, et je m'étais encore perdue. Je marchais de plus en plus vite, et ma traversée hasardeuse me mena en plein centre d'une place. De toutes part, des gens s'avançaient. Des murmures d'abord. Puis des sifflements plus forts. Des insultes lancées par hasard, et bientôt les injures hurlées à mon encontre. J'étais au centre de cette place, et pourtant personne n'osait approcher plus avant. Et maintenant ? Encerclée. Paria. Fille du Chaos. Détestée.

J'étais au milieu de la Cité Eternelle, la grande et belle capitale des Dieux, fourmilière grouillante de monde et de places à découvrir. Et dans toute l'immensité de cette magnificence, je me sentais seule, enfermée, prisonnière. La tête toujours haute comme doit l'avoir la fille du Dieu du Chaos, la Reine des Enfers. Mais la petite Hel, trop blanche, trop frêle, n'impressionne plus. Elle inspirait la peur du temps qu'elle n'était qu'une légende. Maintenant que tout le monde avait vu mon visage trop maigre et mon corps chétif, ils étaient prêts à m'écraser comme un insecte, sans aucun scrupule. Et même si je sentais l'envie de me battre glisser entre mes doigts, je ne pouvais décemment pas rester ici à me faire insulter sans réagir. Stupide. Tu es stupide. Je voulais être appréciée de mes semblables, mais je devais me rendre à l'évidence : je ne serai respectée que lorsque je serai crainte. C'est mon lot, mon fardeau, celui qui m'a été donné à la naissance par mon sang, mon illégitimité. La crainte suinte de mes pores et fait partie de moi. On ne peut parler de Hel avec un sourire dans la voix, mais on peut l'évoquer avec la peur au ventre.

Les flambeaux de la place étaient recouverts de cendres d'avoir trop brûlé la nuit dernière. D'un léger geste de la main, je tentai de les faire monter en écran de fumée morte devant moi, juste assez longtemps pour que je puisse m'en aller. C'est à ce moment qu'elle est arrivée. Sif, la Prophétesse, Reine d'Assgard et.. ma tante par alliance. Et bien que savoir que son autorité allait me débarrasser de cette honteuse situation, c'était la gorge nouée que j'attendais son châtiment.Je n'avais pas la meilleure des chances en ce qui concernait ma famille, et quant à l'opinion que Sif avait de moi, je ne pouvais qu'espérer qu'elle soit plus clémente que le reste de ma famille. La Reine fendait majestueusement la foule, et elle avait tant de prestance et de beauté que je ne pouvais que baisser la tête en une révérence polie pour cacher mon admiration. J'avais de nombreuses fois entendu parler de Lady Sif, mais je devais avouer que tous les récits colportés sont bien loin de la réalité. Si Thor était un homme arrogant et imposant, dont un seul regard méprisant pouvait forger le respect de quiconque, Sif dégageait une splendeur qui ferait courber l'échine à la plus vile des créatures. Et sa présence me faisait me sentir encore plus minuscule que je ne l'éprouvais avec les insultes des habitants d'Asgard.

Je devais donner un bien piteux spectacle. Si l'on ne me détestait pas assez, je donnais encore plus de raisons de détester la Fille du Chaos. Je n'avais pas la magnificence d'une Reine, et je manquais de cette assurance royale dont Sif faisait bien assez preuve pour deux. La Reine d'Asgard parla, et son châtiment me fit relevé la tête immédiatement. Si je m'attendais à une réprimande de ses sujets, je ne pensais pas qu'elle leur demanderait de me traiter avec les égards dus à toute souveraine. Je la voyais déjà me chasser poliment de la capitale, s'évitant ainsi de recroiser une émeute dont je serai la cause. La foule s'écartait peu à peu, et je me sentais encore plus honteuse de ne pas avoir fait preuve de plus d'autorité envers les habitants, les laissant me fustiger en tentant de garder mon sang-froid. Hel, tu n'as rien d'une reine. J'étais souveraine d'âmes qui n'avaient aucune raison de se rebeller contre moi, je n'avais par conséquent aucune expérience dans le gouvernement de personnes... vivantes, plus promptes à se faire entendre et à imposer leur façon de penser.

Presque seules sur la place abandonnée de toute haine, la Reine d'Asgard se tourna vers moi et posa ses yeux d'une infinie bonté dans mes orbites enfoncées et trop sombres. "Je n'ai rien, Votre Altesse, grâce à vous. Merci de m'avoir aidée, je ne pensais pas me perdre aussi vite dans la Cité." Ni me faire agresser aussi rapidement par des personnes à qui je n'ai fait aucun mal pensais-je en mon for intérieur. Bien que Sif n'était que clémence et miséricorde, je ne pouvais m'empêcher de déceler dans son regard quelque chose que je n'avais inspiré qu'à la Déesse des Tempêtes : la pitié. Et j'ignorais encore si je devais être déçue de n'inspirer que de la compassion là où j'aurai du être respectée, ou si j'étais soulagée de la bienveillance que la reine d'Asgard faisait preuve à mon égard. Je penchais rapidement pour la deuxième option, et me rendait à l'évidence que même si elle déployait énormément d'égards envers moi, je ne pouvais me résoudre à considérer notre entretien incongru comme un face à face entre deux reines. Je me sentais chétive petite fille devant la reine de la beauté, et malgré tout le courage que je puisais en moi, mes épaules étaient trop frêle pour que je puisse me relever en assumant la charge de mon rang. Pourtant, la chaleureuse proposition de Sif commençait à réchauffer mon coeur glacé. "Je vous remercie de votre amabilité, Votre Altesse. Je serai ravie de venir visiter le Palais, si toutefois vous m'autorisez à venir vous voir. Mais pour le moment, je pense rentrer chez moi. Tout ceci m'a un peu épuisée, pour ne rien vous cacher."

Je venais de me rendre compte que j'étais absolument exténuée. Je ne ressentais la fatigue que depuis que j'avais quitté l'Helheim, et toutes ces émotions que je n'avais jamais ressenties dans mon royaume de cendres commençaient à m'interroger sur mon état et sur ma fragilité. J'étais née à moitié pourrie, la santé n'avait jamais été mon fort. Beyla devait déjà se faire du soucis, et je ne devais pas trop tarder à rentrer à Midgard, ayant promis à Ran que mon voyage sur Asgard ne prendrait que quelques jours. "J'espère ne pas prendre trop de votre temps, Votre Altesse. Je comprendrais aisément si vous aviez mieux à faire que me raccompagner. Je loge pendant quelques jours chez une amie, mais je crains de ne me perdre encore une fois. Ce monde est tellement vaste quand on n'a jamais connu qu'un seul royaume..."
L'Helheim commençait-il à me manquer ?