Seule dans ma modeste maison, située dans les terres les plus reculées du Vanaheim, j'écoutais les prières qui m'étaient faites. Dieux et humains, Ases et Vanes, tous s'évertuaient à s’attirer mes faveurs. Je les aurai bien tous bénis si les runes et la voix de Skygge ne me chuchotaient pas le contraire. Ses soupirs, ses rires hystériques résonnaient dans mon esprit et je ne pouvais faire la sourde oreille. Elle était moi. J'étais elle. Là était ma malédiction et il n'était pas en mon pouvoir d'y remédier. J'espérais secrètement qu'un beau jour, elle partirait et me laisserait en paix. Mais bien vite, je me reprenais et acceptais sa présence avec bonne grâce. Ma vie n'avait rien d'un long fleuve tranquille. La seule chose qui me permettait de tenir le coup était la nature environnante. Calme et paisible, elle apaisait mon cœur. J'aimais sentir le vent fouetter emmêler ma chevelure dorée et l'herbe humide matin rafraîchir mes joues. Une telle splendeur devait être préservée des actes criminels des dieux et des Hommes et c'était donc avec dévotion que je gardais cet endroit, digne du Valhalla, loin de tous. Je n'étais pas magicienne, mais me cacher des autres était presque devenu un passe-temps depuis quelques siècles. Or, aujourd'hui, contrairement à d'habitude, j'allais devoir quitter ma tanière pour me confronter au monde. C'était avec grand plaisir que je le faisais, mais également avec crainte.
Voilà bien des années que je n'avais pas revu celle que je considérais presque comme une sœur. Le Pardon avait fait preuve de bien de miséricorde à mon égard alors que Skygge déchaînait sa colère sur le monde entier. Préférant me terrer pour ne plus que cette dernière provoque de telles catastrophes, j'avais négligé de revoir cette amie chère à mon cœur. J'avais fait en sorte de rendre sa vie plus douce face à sa cécité, or l'aveuglement s'avérait bien difficile à supporter, même pour une déesse. Je me préparais donc à la rejoindre à notre point de rendez-vous. Vêtue d'une robe simple, je marchais le long des routes du Vanaheim pour atteindre le village le plus proche. Un sourire joyeux s'afficha sur mon visage et ce fut d'un pas un peu plus rapide que je continuais mon chemin. Or, mon impatience à la retrouver ne servit point ma cause et ce fut avec une pointe de déception que je m'assis sur le banc le plus proche. Les Vanes qui marchaient au-devant de ma personne ne savaient pas trop comment réagir. Allais-je les bénir ou les maudire? Pour les rassurer, je les saluais d'un geste de la main, toujours avec un sourire radieux aux lèvres.
J'attendis un moment sur le siège en bois, fixant d'un œil distrait les alentours. Une boule commençait à se former dans le creux de mon ventre. Heureusement, cela ne dura qu'un instant. Bientôt, j'entendis une voix prononcer mon nom d'assez loin. Je tournais la tête et vis Sígní à quelques mètres. Son visage respirait la douceur et ses longs cheveux bruns renforçaient la pâleur de son visage. Ses yeux ne fixaient aucun point précis et dénonçaient sa cécité. J'avançais à mon tour vers elle. Son frère la guidait et son regard évitait de croiser le mien. Je sentis mes joues s'empourprer tandis que je serrais ma tendre amie entre mes bras.

« Sígní ! Je suis tellement heureuse de te revoir, cela fait bien trop longtemps que nous ne nous sommes vues. Tu rayonnes comme un vrai rayon de soleil ! Dis-moi comment vas-tu ? Et Asgard, quelles sont les nouvelles d'Asgard ? »

Je me reculais un peu, serrant toujours sa main dans la mienne. J'offris un sourire à son frère et le saluais d'un signe de tête.

« Vilkas. »

Le temps était particulièrement clément au Vanaheim tandis que je serrais contre moi cette amie qui m'avait été enlevée, il y a de ça bien des années. Une douce brise soulevait nos cheveux et se glissait sous le bas de nos jupons. J'aimais sentir la caresse du vent sur ma peau et c'était notamment pour cela que j'appréciais le climat doux et tempéré du Vanaheim. Il n'y pleuvait presque jamais, ou du moins guère longtemps. Cet endroit était une bénédiction pour moi et y résider loin du monde ne me dérangeait plus. Les années m'avaient rendue plus sage et si Skygge se complaisait dans ses lamentations constantes, je ne cessais de sortir pour admirer la beauté de la nature de mon côté. Je ne me lassais guère de ces champs, de ces fleurs et de ce ciel bleu qui baignait mon visage de la lumière qu'offrait le Soleil. Oui, c'était un réel cadeau de pouvoir profiter des magnifiques paysages qu'offrait le Vanaheim et malheureusement Signi n'en avait plus le loisir. Quel triste accident que sa cécité ! Et pourtant fidèle à elle-même, elle continuait d'avancer la tête haute. Cette détermination à surmonter les épreuves de la vie me fascinait et c'est pour cette raison que je l'aimais d'une amitié sincère.
Je me reculais ensuite de quelques pas après l'avoir tendrement étreinte. Son sourire me réchauffait le cœur, mais la gêne se lisait sur mon visage. J'avais été indélicate de lui demander des nouvelles de sa famille. Certes, je n'avais pas eu le loisir d'apprendre les fâcheux événements qu'elle avait dû traverser ainsi que sa famille, mais je me sentais grandement idiote d'avoir rouvert une plaie qui ne devait guère s'être refermée. Si n'importe qui m'aurait dit que cela n'avait rien de la gravité que je m'imaginais, je prenais tout de même à cœur ce malheur tombé sur sa famille. La voix entêtante de Skygge commença à résonner dans mon crâne. Il me fallut quelques secondes et une grande concentration pour la faire taire. Son rire hystérique me tordait l'estomac et égoïstement je me prenais à remercier la cécité de mon amie. Ainsi, ne pouvait-elle pas voir le trouble qui s'emparait de moi.

« Je suis bien désolée d'apprendre le malheur qui s'est abattu sur ta famille, mais savoir que tu as pu surmonter cette épreuve quelle qu'elle soit est un réel soulagement ! Quant à Asgard, je n'en attendais pas moins. J'ose simplement espéré que Skygge ne sera pas la cause de ces prochaines catastrophes. »

Une ombre passa sur mon visage comme le signe d'une funeste nouvelle. J'arrivais de moins en moins à la contrôler et seule une vie d’ermite me permettait de la tenir en cage. Mon esprit était de plus en plus torturé par sa présence malsaine et cela n'inaugurait rien de bon. Ainsi, revoir Signi avait été comme libérateur pour moi. Sa présence éloignée mes mauvais démons et distrayaient mon esprit embrumé. Elle était bien l'un des seuls soutiens que je possédais à travers les Neuf royaumes et je devais bien avouer que la présence de son frère ne me rendait guère anxieuse comme autrefois. Certes, comme le faisait remarquer mon amie, Vilkas avait mûri et grandit également. Je gardais un souvenir bien flou de lui, le souvenir d'un jeune homme et non du guerrier qu'il semblait être souvenu. Le temps semblait passer bien plus vite lorsqu'on est coupé du monde, pensais-je.
Le bref grognement que Vilkas lança à sa sœur me fit légèrement sourire. Je le fixais de mes grands yeux candides tandis que les siens restaient cloués au sol. Mais mon attention se reporta bien vite sur Signi. Après tout, c'était elle que j'étais venue voir et non son frère, aussi plaisant soit-il.

« Oui, oui, Vilkas et moi ne nous sommes pas vus depuis un long moment. Mais, le temps passe plus vite au Vanaheim qu'ailleurs. Du moins j'en ai l'impression. Cet endroit est un havre de paix et je ne doute point que respirer son air ne puisse te faire que le plus grand bien. »

Je chassais d'un revers de la main sa dernière remarque. Les gens d'ici se méfiaient de moi, de mes pouvoirs et n'osaient pas trop s'approcher de moi. Cette distance qu'ils s'évertuaient à instaurer entre nous me peinait, mais d'un certain côté je préférais qu'ils m'ignorent plutôt que de risquer leur vie. De plus, je ne pouvais que comprendre leur crainte, moi qui partageais mon quotidien avec Skygge et connaissait bien sa folie.
Ses pensées m’éloignèrent de l'instant présent et ce n'est que devant la boîte que me tendait de ses doigts fins Signi que je retrouvais pleinement mon attention. Les cadeaux m'avaient toujours ému et c'est avec une certaine difficulté que je retins les larmes qui menaçaient de couler sur mes joues. Fébrile, j'attendis que son frère ouvre le couvercle du boîtier. À l'intérieur, se trouvait un collier d'une délicatesse peu commune où pendait au bout une jolie émeraude. Je ne pus me retenir de caresser la pierre du bout des doigts.

« Oh, Signi tu n'aurais pas dû, c'est trop. »

Si j'avais réussi à retenir mes larmes jusque-là, l'annonce de son enchantement sur le bijou évapora en moi toute retenue. Sans hésiter, je me jetais dans les bras de la Misécorde, cette déesse qui n'avait jamais cessé d'être présente à mes côtés, et la serrait de toutes mes maigres forces. Je déposais ensuite un baiser sur son front. Moi-même je l'avais béni lorsque l'incident avec sa sœur était survenue. J'avais tenté de faire de sa vie un fardeau plus léger. Je ne savais pas réellement si j'y étais arrivée, mais je me promis de consulter les runes aussitôt rentrée chez moi. Je pris également dans mes bras Vilkas, sans aucune once de pudeur. Il était le soutien indéfectible et les yeux de Signi et je ne pouvais que lui en être reconnaissante. Une fois mes effusions d'affection terminées, je me reculais de quelques pas et pris le collier pour le passer autour de ma nuque.

« Il est sublime Signi. Je ne pourrais jamais te remercier assez de m'avoir fait si beau présent. Et merci à toi aussi Vilkas d'avoir choisi ce magnifique collier. »

Je passais alors le plat de ma main sur ma joue pour essuyer les larmes qui la parsemaient. On devait sûrement me prendre pour une enfant avec une telle face, mais je m'en fichais bien. Tout ce qui m'importait était de retrouver mon amie. Ainsi, sans tarder, Vilkas partit et nous pûmes commencer à marcher sur les routes du Vanaheim. Signi s’agrippa à mon bras et je posais sans hésiter une main sur la sienne en guise de soutien. Des badauds passaient à nos côtés, tandis que nous avancions à notre rythme. Nos robes effleuraient délicatement la terre séchée et une fine poussière s'élevait dans les airs.

« J'aimerais bien te raconter à quoi ressemble ma vie au Vanaheim, mais cela s’avérerait vain. Toute la journée, je reste confinée dans ma modeste maison et quelques fois, je sors et admire le ciel des Neuf royaumes. Malgré sa monotonie, cette existence me plaît. Elle me permet de me concentrer sur Skygge et de ne pas la laisser reprendre le contrôle. D'ailleurs, je ne préfère même pas imaginer de quoi elle serait capable cette fois. »

La pensée de Loki me vint aussitôt à l'esprit. Ce pauvre nourrisson qu'elle avait maudi par pure vengeance et qui maintenant se retrouvait brisé par les épreuves qu'il avait traversées. Et puis tous les dégâts qu'elle avait causés lors de la dernière guerre. Non, je voulais y penser le moins possible. Savoir qu'elle avait utilisé mes propres mains pour tuer des innocents me tordait l'estomac. Je serrais nerveusement les lèvres, tentant désespérément de trouver une échappatoire aux sombres idées qui surgissaient dans mon esprit. J'embrassais d'un geste vif le pendentif. Un soupir de soulagement traversa mes lèvres et d'un pas aussitôt sautillant, je reprenais notre marche.

« Mais j'y pense ! Il faut absolument que je t'emmène dans un endroit du Vanaheim qui me semble être le Valhalla lui-même ! Son sol est aussi doré que de l'or, le ciel aussi bleu que l’océan en été et ses arbres aussi verts que l'émeraude que tu m'as offerte tantôt. Je suis certaine que tu ressentiras cette beauté autant que je la vois. Tu as toujours eu le don, je crois, je voir ce que personne d'autre ne pouvait et ce malgré ta cécité. »