Pendant qu’on noyait l’amertume et les rancœurs passées à grosses gorgées d’hydromel, de bière et de vin, on vit que l’ambiance dans le palais perdait de sa rigidité solennelle pour laisser place à un air de fête. Même le Compteur d’années qui préférait normalement la compagnie de ses livres et de la nature trouva l’envie de se joindre aux festivités, entraînant à sa suite une compagne pour le moment bien morose. Allez savoir pourquoi, le brun s’était donné pour mission de faire naître un sourire sur le visage de la sœur de Thialfi. Un visage si fermé à la joie qu’il lui rappelait désagréablement les tourments de son propre sang. Une tâche plus facile à dire qu’à faire compte tenu du ton acide sur lequel la demoiselle lui répondit. C’est avec une expression un peu ennuyée que Máni leva son verre à son tour et goûta la liqueur. L’agréable saveur du breuvage lui réchauffa la gorge et le cœur, trouvant ainsi la force de supporter le cynisme de sa voisine sans sourciller. Cependant, la vitesse à laquelle la jeune femme allégea son verre fit apparaître une lueur d’incrédulité dans les yeux de la Lune. À ce rythme, effectivement, elle ne parviendrait pas à tenir toute la soirée. Suivant le conseil de son interlocutrice, Máni se dirigea vers une table où ils pourraient se montrer aussi discrets que leur nature respective pourrait leur permettre.

« Cette nuit, il s’agit d’une nouvelle lune. Une nouvelle lune pour de nouveaux souverains. » répondit-il avec réserve. Ses doigts pianotaient nerveusement sur son gobelet alors qu’il semblait perdu dans ses pensées. Máni n’avait jamais compris pourquoi son astre, au contraire de la boule de feu de Sol, devait enchaîner des phases de croissance, puis de décroissance. Il s’en voulait presque d’avoir ce moment de plus pour souffler. Ses réflexions l’avaient poussé à accepter l’idée que la lune était plus fragile et bien plus faible que son contraire de braise. Il ne brillerait jamais aussi fort ni ne ferait pousser quoique ce soit. Il n’était qu’une lueur vacillante qui avançait dans les ténèbres par crainte de se faire engloutir par elles... « On n’a pas autant besoin de la lumière du Soleil que de la Lune je suppose. » rajouta-t-il sur un ton indéchiffrable, ne sachant lui-même si ce fait le soulageait ou le faisait sentir encore plus misérable.

Une apparition royale le tira de ses pensées alors que Thor en personne passa près de leur table, mais il fut stoppé par la maladresse d’un damoiseau. L’incident créa aussitôt un silence inconfortable dans le sillage du Roi et le Compteur d’années en profita pour siroter son hydromel tout en restant en marge de l’action. Toutefois, le malaise ne dura qu’un moment, moment durant lequel Roskva se fit ordonner de nettoyer l’alcool renversé. Par chance, le Tonnerre s’éloigna rapidement après lui avoir adressé une brève salutation, lui évitant d’apercevoir – et de recevoir – les gouttelettes recrachées sans aucune forme de subtilité de la Lune. Máni s’étouffa bruyamment lorsqu'il réalisa que ses efforts pour égailler la jeune femme avaient été réduit à néant d'un seul coup. Ou alors, c’était peut-être la surprise de s’être fait adresser la parole par le dirigeant d’Yggdrasil… Pour l’heure, il se racla la gorge difficilement, cherchant de l’air. Il tenta de s'excuser à l’Ase qui était passé devant lui au mauvais moment en faisant des signes de main bizarres puisqu'il n'arrivait pas à articuler. Une soudaine quinte de toux lui servit d’excuse pour se détourner et apprécier la réaction de sa cavalière face à cet affront. Vu le regard assassin de la belle, le monarque avait de la chance que son rang ainsi que sa couronne le protègent d’un foudroyant lancer de gobelet vers sa divine tête.

Jörd se contrefiche bien d’importuner le jeune servant qu’elle s’est mise dans l’idée d’accaparer pour boire jusqu’à plus soif. Ce n’est rien comparé à ce qu’elle a pu faire et elle se demande si finalement, elle est capable de surmonter tout ça. Il y a la famille royale à qui elle a fait du mal, il y a tout le royaume qu’elle a du faire saigner, puis son frère qui vient à lui tourner le dos. D’un soupir mesuré, la Terre porte sa coupe à ses lèvres, offrant un œil circonspect à l’échanson qui lui préconise d’être prudente. L’espace d’un instant, elle craint presque de voir une lueur de mépris ou d’effroi dans les yeux du concerné mais il n’y a rien. Rien d’autre qu’un vexant dépit. Alors que la déesse fait mine de trinquer avec le jeune homme, elle sent une main presser son épaule. Cela lui arrache un sursaut de surprise et elle fait volte-face pour darder ses prunelles sur lady Sif. Leur dernier échange remonte à loin et Jörd se sent fondre de culpabilité en imaginant ô combien la belle a dû souffrir avec son nouveau-né dans les bras et impuissante face à son mari agonisant. La Terre n’a pas oublié la fureur dont elle peut faire preuve mais toutes ses appréhensions finissent par s’envoler pour laisser place à la contrition. « Ma... Reine. » Lâche Jörd, prise de court. Instinctivement, la Terre cherche à poser sa coupe, comme pour se dédouaner de toute faute mais étant donné que le servant en a profité pour s’esbigner, ses tentatives sont vaines et elle abrège ses hésitations en laissant échapper un petit rire. « Je suis... Navrée. » Elle lui adresse ce murmure sincère au delà de ses paupières closes par la gêne. Elle tend à s’excuser pour tout. Car son retour a ébranlé sa vie, car elle a risqué de perdre son époux et le père de son enfant par sa faute. Parce qu’elle va devoir composer tandis que beaucoup de regards se tournent vers elles d’un air désapprobateur. Lorsque Sif lui intime de se joindre à eux à la tablée royale, la Déesse de la Terre peine à y croire. L’émotion éclot bien vite dans ses prunelles, un soulagement qu’elle ne peut pas dissimuler aux yeux de sa belle-fille. « Que je me joigne à vous, vraiment ? » Lui demande-t-elle, essayant de percevoir là un simple élan de politesse. « Je ne veux pas faire d’histoire, vraiment. » Jörd observe Aegir et Ràn, sans oublier la petite Thùd au regard enchanteur. Elle étire un sourire ému, réalisant qu’il s’agit bien là de sa petite fille. « Je... Elle est magnifique, Sif. Et je suis si soulagée que tout ceci ait pris fin. » Elle se masse le front tout en soupirant puis s’avance lentement aux côtés de la reine, les yeux rivés vers le visage poupin de la petite. Anxieuse. Jörd n’en revient pas d’être aussi angoissée à l’idée de rencontrer pour la première fois sa petite fille. Elle ne s’est pas préparée à un jour pouvoir la tenir dans ses bras. Elle n’a rien imaginé de tout ça car elle s’est laissée abrutir de pessimisme. Jörd saisit la main de Sif pour la serrer dans la sienne avec sincérité, la confusion coudoyant de près son émoi. « Merci. »

Une fois proche de la table, Jörd salue Aegir et Ràn, fébrile. Ils sont ses amis, ses alliés, mais ils semblent bien moins démunis qu’elle face à cette situation. Elle puise dès lors dans leur chaleur encourageante pour s’approcher et contempler la petite Thrùd qui gigote dans les bras de son aïeul. Elle reste là, le souffle suspendu, une myriade d’émotions contradictoires lui vrillant le cœur. Ce bébé lui rappelle le sien, celui qu’elle n’a jamais pu voir grandir et l’impression d’être maudite lui interdit de pouvoir poser ne serait ce qu’un doigt contre sa joue ronde. Jörd se redresse, un peu perdue, mais finit par évincer son trouble d’un sourire touchant. « Merveilleuse... Elle est merveilleuse. »

Spoiler:

C’est d’un regard pétillant d’un amusement certain que l’Océan admire le manège de son nouveau souverain. Le doute n’a pas sa place sur le visage du dieu. Il sait, que cette prestance que se donne Thor n’est qu’une façade. Un moyen d’entrer dans un jeu qui est le leur et qui perdure malgré les rangs qui les séparent à présent. Et malgré tout le ressentiment qu’il éprouve à l’égard du petit roi, Aegir n’en est que rassuré. L’adversaire est de choix et le perdre au profit d’une couronne aurait été bien fâcheux. L’Océan accueille le commentaire royal d’un hochement de tête impérieux. Celui qui accompagne chacune de ses réponses silencieuses. Celles qui viennent s’opposer à des questions qui ne nécessitent pas vraiment de mots. C’est là un trait du calme océan, il ne s’encombre pas de mots inutiles. Sachant pertinemment que ses silences peuvent être aussi éloquents que la plus belle des phrases. Il hausse pourtant un sourcil, surpris par le mystère entourant soudain le monarque et par le rapprochement qu’il impose. Sous l’argent et l’émeraude, les muscles du dieu se tendent, répondant à un instinct qui le pousse à la méfiance. Quoi que l’on puisse dire ou penser, Aegir se sent étranger en ce lieu. Les griefs qui le liait au Père de Tout perdurent dans son esprit et se répercutent sur ceux qui peuplent le Palais d’Or. Les paroles le laisse de marbre, mais sous le calme qui perdure sur son visage, la tempête gronde. Les pupilles céruléennes se parent d’un bleu de glace et s’apposent enfin sur Thor. Un sourire de circonstance vient se glisser sur les lèvres du sylphe. « - Je ne sais que dire. C’est immense privilège que vous me faîtes. Et je serais bien malavisé de le refuser. » Le ton est contrits, respectueux mais la lueur qui incendie alors le regard de l’Océan appelle au défi. Ce sourire l’agace, tiraille ses nerfs, et crispent ses phalanges contre la silhouette de sa petite-fille. Aegir penche à nouveau la tête, dans un geste révérencieux qui signe une part du contrat que le monarque vient de lui glisser sous le nez. Ses pupilles caressent la main venue se poser contre son épaule, un infime frisson de dédain s’apposant un instant au coin de ses lèvres. « - Il y sera reçu comme un roi. » Et ses dents se serrent pour ravaler le sarcasme. L’allusion au pauvre serviteur blessé par la pogne du roi mal léché. L’affront perpétré dans les entrailles même du palais subaquatique. Aegir n’a nullement le temps de répliquer plus avant, la nouvelle reine revient. Accompagnée de la Terre.

Il ne peut rester insensible au tourment qui se lit sur les traits de Jörd, et accueille sa venue d’un sourire chaleureux. « - Ma Dame, c’est un plaisir de vous voir parmi nous. » La voix de la Maternité fige l’instant. Aegir contemple la nouvelle arrivante, sans trop savoir qu’elle attitude adopter. Inconsciemment, il la considère comme responsable de ses maux. Ne parvient à faire de différence entre l’époux et l’épouse, qui, à l’instar de Ràn et lui, ne forment qu’un seul être. « - Elle le mérite. Tout comme nous le méritons tous. » La voix du dieu roule comme les vagues sur des récifs. Elle gronde malgré sa volonté de conserver une certaine neutralité. Le regard du dieu s’appose sur la Maternité, longuement, il scrute ce visage. Ces traits. Jauge la Mère sans parvenir à apaiser les tourments de son cœur. Le contact le brise alors il reporte son attention sur Jörd. S’en rapproche et sous l’impulsion de la petite Thrúd, l’enfant s’échappe des bras de son aïeul pour se glisser dans ceux de la Terre. « - Ne soit pas gênée d’être ici Jörd. Tu y as ta place, ceux qui prétendent le contraire sont aveuglés par la rancœur. » Il murmure ses paroles contre l’oreille de son amie, sa main se posant avec délicatesse contre le bras de la déesse.

L’ase suivit la cérémonie avec attention, pour une fois. Mais en même temps ce n’était pas tous les jours que votre cousine devenait reine. Asbjörn fut plongé dans une certaine nostalgie, la dernière fois qu’il avait été prostré ainsi, c’était pour le mariage de Thor et Sif. Cela semblait être tellement loin. Il voyait bien combien sa cousine avait grandi et accepter sa responsabilité avec grâce. Il n’en attendait pas moins d’elle. Pour sa personne, cela signifiait un changement également, il était de la famille royale à présent, c’était officiel. Certes, depuis son jeune âge il avait côtoyer les princes, mais il n’était plus le fils de , il n’était plus un Einherjar, il n’était plus un vagabond. Ce changement de rang ne lui semblait pas si important, mais peut-être était-ce simplement parce qu’il n’était pas encore conscient de ce que cela pouvait entrainer. L’ase grimaça, se tenant son flanc. Il avait récupéré, mais sa blessure l’élançait encore et devoir rester parfaitement immobile n’était pas la meilleure idée dans son cas. Il se surprit à retenir sa respiration en voyant la descente de la couronne sur la tête blonde de son cousin, et eut un grand sourire sur son visage quand le nouveau roi et sa reine se tournèrent pour s’adresser à leurs sujets. Il applaudit chaudement. « VIVE LE ROI, VIVE LA REINE » s’écria-t-il avec fierté en même temps que d’autres clameurs s’élevaient. Le cérémoniel était à présent terminé. C’était une délivrance et l’aventurier se dirigea avec impatience vers le buffet, ce n’était pas qu’il était affamé, mais c’est qu’il l’était quand même.

Il prit place à la place du clan de la mer, entre les filles de Ran, les taquinant gentiment, surtout Hefring, il lui pinça le côté en rigolant. Lui et elle avaient été voisins de lit pendant des semaines, cela rapprochait. Bien sûr, son œil était également sur Hel, ne pouvant s’empêcher de l’admirer avec un sourire entendu. Il vit Sif les joindre, leva sa chope vers elle, mais ne put engager la conversation car il sentit un courant d’air derrière lui, puis un bras autour de ses épaules, ce qui résultat avec une chope renversé du à un sursaut de surprise, suivi d’une forte grimace. « Hermod … » Asbjörn en grinçant les dents pour évacuer la douleur. “J’aimerai déjà que tu ne me renvoies pas à la maison de guérison, espèce de - “ L’ase n’eut pas le temps de finir sa phrase, ni même de réagir à ce que son ami lui avait dit que ce dernier était déjà parti. Il secoua sa tête et eut un air blasé avant de sourire. Attendant le retour de son ami cette fois-ci, il se tourna vers lui et accepta la chope. « Hail ! » le joignit-il et claqua sa coupe contre celle d’Hermod avant de boire une gorgée. Son regard s’attarda sur sa cousine issue de germain, avant de se reporter sur Hermod. « Tu sais mon ami. La barbe plait aux femmes, et dans mes souvenirs, c’est moi qui les forçaient à passer un peu de temps avec toi, parce que les femmes ça n’aime pas les lièvres trop rapides » finit-il par dire en lui tapotant l’épaule. « Attends un instant » demandai-je à mon ami et me levai. « Sif ! Sif ! ... Je veux dire...ma reine » appela-t-il sa cousine , la voyant traverser la salle. Il fit une petite révérance devant elle. « Je ne te retiendrai guère longtemps, nous pouvons parler plus tard, mais je tenais à venir te dire que je ne pourrai décidément pas suivre les protocoles ... » Il la prit dans ses bras. « Je suis fier de toi, Sif. » lui murmura-t-il a l'oreille avant de lui baiser la joue. « Je ne te retiens pas plus longtemps, j'ai un certain messager à surveiller ... » et ainsi il lui regagna sa place en lui souriant tendrement. Il se rassit près de son frère de coeur et regarda sa chope. « J’ai un aveu à te faire Hermod. » Il sourit et leva ses yeux vers lui. « Tu les auras toutes désormais…parce que mon cœur appartient désormais à une et singulière déesse. » avoua-t-il et lança un regard vers Hel avant de détourner le regard. Il était paré à entendre les moqueries, mais c’était la première fois, qu’il évoquait sa relation avec Hel après les combats, la première fois qu’il impliquait qu’ils étaient ensemble dans un évènement publique.

Comme il est étrange pour la Déesse de la Terre de se trouver en compagnie de ses pairs, après être passée de disparue dans leur estime, à ennemie de la couronne. Heureusement, de fiers alliés se dressent dans l’assemblée qui la regarde approcher en compagnie de la toute nouvelle Reine. Lorsqu’elle croise le regard de Thor, rayonnant dans son rôle de souverain, Jörd étire un sourire fier avant de le gratifier d’une œillade emplie de tendresse. Il a témoigné d’une telle patience et d’un tel réconfort à son égard, malgré les récents évènements terribles qui ont marqué à jamais la cité asgardienne - qu’elle ne sait où le Dieu du Tonnerre a su puiser tant de mansuétude. « Mon ami... » Salue-t-elle Aegir qui l’accueille avec sincérité. Face à l’ébahissement dont la Terre fait preuve devant la petite Thrùd qu’elle redoute de prendre dans ses bras, la voix de Frigga vient donner la mesure dans un murmure compatissant. Jörd relève les yeux vers elle lorsque d’une voix hésitante, la Maternité reconnait que Thrùd est leur petite-fille à elles d’eux. Cet aveu est touchant, évidemment, même si Jörd tient encore pour grief à l’Omnisciente d’avoir tout su mais de n’avoir rien fait pour éviter le sort qui était le sien. Frigga et elle ne se sont pas parlées et la Terre devine que le couronnement de Thor sonne comme un nouveau départ pour toutes deux. La chaleur que dégage le faciès de la Maternité ne peut cacher l’émoi que cette situation suscite - et Jörd ne la comprend que trop bien. Elle aussi, est partagée entre joie et peine tout aussi bien à lâcher prise sur cette réalité qui l’a heurté des millénaires durant. Jörd a conscience de devoir dorénavant composer avec la famille royale, maintenant que Thor a tout mis en œuvre pour l’y intégrer. Et pourtant, il est difficile d’oublier le passé . Il est pénible d’oublier l’affront.
La Terre pose ses mirettes dans celles de l’enfant qu’elle tient dans ses bras. La magnifique joue avec quelques mèches de ses cheveux, poussant des vagissements enthousiastes et Mère Nature ne peut rester indifférente. « Notre petite-fille. » Répète-t-elle avant de croiser le regard de Frigga. A ses paroles, Jörd acquiesce. La Maternité en a-t-elle seulement douté ? Que la Terre puisse encore se claquemurer derrière sa véhémence - après tout ça. « Je suis lasse des querelles, dame Frigga. Je n’aspire qu’à voir la petite Thrùd grandir et être aux côtés de Thor et de Sif pour les y aider. Je ne désire qu’à rattraper le temps perdu. » Se confesse-t-elle, rassurant ainsi son interlocutrice au sujet de ses inquiétudes. Les paroles réconfortantes du Dieu des Océans arrache une risette à la belle qui lui coule un regard empreint de gratitude. Aegir et Ràn ont toujours été un soutien indéfectible pour elle, malgré toutes les réserves qu’ils ont pu exprimer de prime abord. Thor s’approche et dépose un baiser tendre sur le front de ses deux mères, comme pour appuyer le fait que l’une autant que l’autre compte à ses yeux. Curieusement, Jörd n’est pas la seule à sentir le malaise étreindre cet échange. Après tout, qui mieux que la Terre bafouée pourrait comprendre cette circonspection amère qu’affiche Aegir en voyant Frigga, femme du Père de Tout, se tenir à leurs côtés. Dodelinant la petite Thrùd entre ses bras, lui offrant grande admiration, la Terre finit par en revenir aux Vagues. « Cela me fait tellement plaisir de vous voir toutes ici. » Ils ont une grande famille admirable, une flopée de filles magnifiques que la Terre leur a toujours envié. Ils sont ses amis, et ceux en qui elle se retrouve le plus. Elle partage tant leur douleur qui lui est difficile d’ignorer les dernières révélations qu’ils ont du essuyer.

Évidemment, la réprouvée n’avait eu autre choix que de boire la coupe jusqu’à la lie. Le rêveur s’étant esbigné de ce qu’il avait élu comme ses devoirs depuis plus d’un millénaire, sa démission ne justifiait pas l’aboutissement des tourments, pas plus qu’elle en proposait la libération. Son départ impromptu n’avait en fait qu’exhorté les démons à se jeter de nouveau sur cette âme pour taler derechef son sommeil lequel, délesté d’ange gardien pour faire rempart aux chimères, n’était plus qu’un terreau parfait à la naissance des pires cauchemars. Brunehilde ne donna aucune précision quant au nombre d’années qu’il lui avait fallu purger seule, mais nul doute que son calvaire dû lui être pénible, ainsi condamnée à son incoercible châtiment tout en s’arrimant à l’espoir d’un probable retour. Une lueur de contrition traversa furtivement les billes qu’il ancrait sur la valkyrie et plus désolé encore fut les Songes quand elle étaya ses moult péripéties ayant suivi son sauvetage, comme quoi la réalité elle aussi ne lui avait laissé aucun répit en se truffant d’écueils. L’épilogue de ses misères semblant s’être présenté, pourquoi sentait-il qu’une cohorte de sentiments planait dans le phonème tel des plaies irrémédiables ? Aussi regrettable fut le constat, il pouvait tout du moins comprendre qu’après cette vie de tourments, elle étalait encore des balafres. Invité maintenant à se confesser, Darakan expulsa un soupir renfrogné, conscient que de tous les motifs qu’il pourrait fomenter pour appuyer son abandon, aucun ne lui semblait à la hauteur pour l’excuser. « Croyez-moi, dame Brunehilde, que j’aurais volontiers continué de veiller sur votre sommeil. Hélas, la réalité m’a volé à vous ; la disparition d’un être cher m’a contraint à abandonner toutes mes promesses pour me concentrer sur son retour. Ce fut vain, je dois l’avouer, car mes recherches furent infructueuses. J’aurais bien mieux fait de demeurer à votre chevet. » Durant son court aparté, il ne put s’empêcher de mirer subrepticement Jörd qui alpaguait un serviteur lambda pour quêter une coupe d’hydromel. Noyait-elle ses affres en cette caligineuse panacée ? Le dormeur poursuivit, placide malgré l’inquiétude poignant pour sa puînée : « Vous me voyez absolument soulagé de vous savoir bien portante. Et très sincèrement désolé de vous avoir fait fausse compagnie. J’ai grandi à vos côtés. Je vous suis reconnaissant de m’avoir inculqué les rudiments de par votre seule présence. De vous revoir me fait le plus grand bien. » Entre deux commissures gambada un sourire franc, et il enchaîna non sans zieuter furtivement alentour : « J’aurais préféré vous retrouver dans une intimité semblable à celle que nous conféraient vos rêves. Vous devez bien le savoir, je n’ai jamais été gourmand de ces festivités et cela n’a pas changé depuis deux millénaires. » La coupe évidée tournait lentement entre ses doigts quand le dieu lorgna le sauvetage de sa sœur par la nouvelle Reine, venue la hisser hors de sa solitude pour l’enjoindre à se greffer à la table la plus importante du lot. Content qu’elle s’intègre petit à petit après des éons de réclusion, ce fut l’émoi qui étreignit son cœur lorsqu’il constata, de loin, la proximité de Jörd avec sa petite-fille. Quel mirifique tableau de revoir toute une famille réunie. Il admira la scène tel l’oiseux spectateur qu'il avait coutume d’être avant sa sérieuse implication dans les affaires du royaume, oubliant un instant sa charmante compagnie au profit de ce rêve devenu réalité.

La fête battait son plein chez les divinités, qui essayaient tant bien que mal de faire bonne mine dans la salle en restant calme. Nul doute qu'à Midgard on ne respirait plus que les effluves d'alcool qui émanaient d'une tripoté de vikings gisant sur le sol. Roskva trouvait ceux autour d'elle risibles, de par leurs fausses bonnes manières alors qu'ils étaient avant tout les principaux concernés par cet avénement. Tandis qu'elle s'était résignée à ne pouvoir fuir la compagnie du mystérieux homme de la lune qu'elle n'avait que très peu vu dans toute sa vie, elle tenta d'engager une conversation sans pour autant cacher l'ennui et la désinvolture qui coulait dans ses veines.

La réponse que le pressé lui offrit ne l'étonna finalement guerre en y réfléchissant. C'était logique, après tout. Nouvelle lune, nouveaux souverrains, les dieux avaient décidement besoin d'en faire toujours des tonnes pour se sentir importants aux yeux des mortels et d'eux-mêmes. « Je vois. » répondit-elle simplement après avoir hoché la tête. Mais le compteur d'années sembla tout à coup pensif -enfin du moins, davantage qu'ordinaire. Qu'avait-il voulu dire par là ? Se faisait-il une reproche à lui-même où était-ce là un soulagement ? Elle n'aurait su le dire et en fut intriguée. « Et bien, peut-être devrais-tu t'estimer heureux que les dieux te laissent plus de répit que ce qu'ils en donnent à Sol. » Répondit-elle sérieusement en croisant son regard. Les dieux finalement, étaient tous un peu esclaves de leurs propres natures. Les Nornes décidaient peut-être de ce qu'il adviendrait, mais si un dieu venait à mourir, c'était tout l'équilibre du monde qui en était menacé -en revanche, on pourrait très bien se passer du tonnerre ! « L'immortalité parait ennuyante, mais le fait d'être contraint à faire des choses qui nous déplaisent l'est encore plus... Alors mieux vaut ne pas concilier les deux. » Elle s'étonna elle-même d'avoir autant parlé, surement la faute à l'alcool des divinités. Mais tandis que ses dernières paroles la firent se perdre dans ses pensées et se morfondre intérieurement de son esclavagisme, un poids soudain s'écrasa sur ses genoux, suivit d'une voix roque qui lui écorcha les oreilles. « HÉ MAIS CA VA PAS ! » mais cela ne servait à rien de continuer, l'agresseur avait déjà tracé la route.

Dans sa tête, elle avait déjà assassiné Thor de dix manières différentes. Malheureusement pour elle, elle devait se contenter de se taire et faire ce qui lui a été ordonné. Et si il y avait bien deux choses que la mortelle détestait, c'était ces deux là. Après lui avoir jeté un regard assassin tandis qu'il passait devant lui sans plus de cérémonie, elle s'écarta bruyamment de la table en faisant grincer sa chaise contre le sol divin, et jeta le chiffon au sol avant de s'y accroupir avec dédain pour nettoyer, mâchoire et poings serrés. Pour qui la prenait-elle, une femme de chambre ? Il y avait d'autres serviteurs pour nettoyer les imprévus de la fête ! Il était fini, le temps où elle astiquait les bottes du prince ! Aujourd'hui, elle était dame de compagnie de la Reine, et il allait bien devoir se rentrer ça dans son crâne blond et vide !

La demoiselle à la chevelure nacrée se releva enfin et balança violemment la serviette sous la table avant de se rasseoir aussi délicatement qu'elle s'était levée. « Lune ! » railla-t-elle puérilement pour imiter l'affreux bourreau. « Par les Nornes j'aurais dû repousser Sif et laisser le Mjolnir m'écraser la cervelle il ya bien des années ! Non mais c'est pas croyable ! Roskva fait si, Roskva fait ca... » s'écria-t-elle en se tenant le crane, aussitôt transformée en lionne. La suivante de Sif s'empara d'une carafe d'hydromel qu'une divinité non loin d'elle venait de prendre, et rempli son verre avant de le boire d'une traite de nouveau sous la colère qui lui montait à la tête. « Tu sais quoi, j'en ai ma claque ! » Elle était si consternée qu'elle ne prit même pas la peine d'apprécier la chanson d'Adelheid. Elle ne pouvait pas rester là toute la soirée, à attendre que Thor lui donne un nouvel ordre et elle sentait qu'elle ne pourrait plus supporter longtemps d'être dans la même pièce que lui à se laisser ridiculiser sans pouvoir riposter sans empirer son cas devant Asgard tout entier. D'un seul coup, elle se releva et tendit le bras au dieu de la Lune à ses côtés. « Bon, au lieu de t'étouffer tu m'invites à danser ?! » Au moins si elle était occupée avec quelqu'un qu'il appréciait, Thor n'irait surement pas la déranger de nouveau. Et puis, il était trop occupé à chercher la petite bête à Aegir de toute façon. « A moins que tu préfères rester toute la soirée assis à attendre qu'il revienne te saluer ! »

La Lune était bien embarrassée car, en plus de recracher le précieux nectar ambré sur ses voisins, il devait maintenant jongler avec l’orage au fond des yeux de Roskva. Le nouveau roi avait eu la sagesse de s’éclipser aussitôt les hostilités déclarées, mais le pauvre Máni ne partageais pas ce penchant au snobisme et fut peiné de la façon dont on traita la suivante de Sif. Il s’en voulu presque de l’avoir retenu plus tôt, songeant que la demoiselle aurait peut-être mieux fait de rester en retrait des festivités. Cela dit, il aurait été dommage de rater cet événement unique pour cause de quelques paroles mesquines… Bon, il est vrai que sa surprise avait précédé sa sympathie. La gorgée avalée de travers retarda une bonne action et, lorsqu’il parvint à respirer à nouveau normalement, la jeune femme avait déjà fini sa corvée imposée. Il lui tendit la main pour l’aider à se relever, mais dans sa fureur, elle ne la vit point et ignora son aide – de toute façon très inutile-. Une agitation haineuse animait désormais sa cavalière, faisant naître un voile d’ennuis sur les traits du Pressé qui connaissait que trop bien ce mal. Il avait pu observer les mêmes symptômes ravageurs chez son aînée et craignait de voir l’arrière-gout de la vengeance s’implanter dans l’esprit de Roskva. Pour sa part, la Lune avait choisi d’adopter une position passive et laissait les millénaires s’enchaîner en le rendant de plus en plus amnésique. En ce jour, l’alcool aidait surement sa cause. Il se resservit donc et laissa la mortelle se plaindre de sa condition autant qu’elle le souhaitait. Le Compteur d’années resta silencieux, jugeant qu’il était plus prudent de la laisser gérer sa rancœur comme elle l’entendait au risque d’en devenir la cible de substitution. Il porta son propre verre à ses lèvres tout en observant d’un œil critique son interlocutrice faire de même avec beaucoup moins de modération. Certes, entre faire le ménage et fuir un loup monstrueux, il y avait quelques différences notables. Néanmoins, le dieu de l’astre nocturne savait ce que c’était de devoir se plier aux exigences d’une volonté supérieure et de se sentir brimé dans sa liberté. Au moins, à la différence de la mortelle, il n’avait jamais été humilié de par sa position. Mis en danger de mort, ça oui, mais jamais insulté ou traité comme un moins que rien. Soudain, sa voisine de table se releva d’un bond et l’invita à se joindre aux couples qui dansaient déjà.

« C’est si gentiment demandé… » répondit-il avec un sarcasme à peine dissimulé. Un mince sourire amusé prouva qu’il ne mettait pas d’animosité dans sa remarque. La Lune se leva alors avec lenteur tout en balayant la salle de son regard plein de curiosité. Longtemps, il n’avait été que le spectateur de la vie des êtres d’exception d’Asgard et, aujourd’hui, alors qu’on lui permettait d’en faire partie, il se sentit intimidé par ce statut dont il n’avait jamais su apprécier les avantages. Normalement, il serait resté à son poste d’observation et bercerait ses pensées mélancoliques grâce à la joie ambiante. À croire qu’il avait fallu la présence d’une furie argentée pour le sortir de sa zone de confort… Il fit signe à Roskva de l’attendre une minute et bu avidement le reste de sa coupe d’hydromel, puisant ainsi dans le liquide le courage de sortir du décor. « Allons-y ! » rajouta-t-il en attrapant le bras de sa compagne pour l’entraîner à sa suite. Ils se frayèrent un chemin entre les invités et finirent par trouver un endroit suffisamment grand pour danser sans se heurter aux autres convives. Chastement, et même avec une certaine hésitation, Máni se positionna et attendit que la jeune humaine pose sa paume dans la sienne avant de se mettre à bouger. Dans un mouvement lent et gracieux, ils se mouvaient avec une aisance étonnante malgré la boisson dans leurs veines. Il la guida comme il put, connaissant les pas plus en théorie que par la pratique. La musique était magnifique et, bien que l’agressivité se lisait toujours dans la rigidité des muscles de sa cavalière, il la sentait se détendre peu à peu sous ses mains. La Lune se demanda alors s’il était judicieux de faire la conversation, sentant que le moindre sous-entendu pourrait réactiver le volcan dans ses bras. Ainsi les premières minutes de leur valse se passèrent dans un mutisme rassurant, du moins pour Máni qui pris de l'assurance dans ses pas. « Et moi qui espérait simplement vous changez les idées, je me rend compte que je n'aide en rien. Vous ne m'en voulez pas trop de vous avoir poussé à rester ? »

La lune se leva à son tour et accepta de l'accompagner au centre de la pièce. Lui aussi venait de terminer sa coupe mais semblait cependant beaucoup mieux le supporter que la jeune suivante. Combien de temps allait-il s'écouler jusqu'à ce qu'elle ne se jette une nouvelle fois sur un verre d'hydromel pour manifester son ennui profond et son désespoir d'être à une telle fête ? Le chemin qu'ils s'étaient frayé parmi la foule leur permis d'atteindre un espace moins étouffant que tout le reste et, au rythme de la douce et joyeuse musique d'Ida, ils commencèrent à se fondre dans la masse et à mouvoir leurs pas avec la mélodie chaleureuse des instruments. Toujours si déterminée à ce que Thor la voit, Roskva n'avait pas hésité un seul instant à prendre les devants de cette initiative plutôt inattendue pour laquelle quelques heures plus tôt elle aurait préféré passer une semaine aux cachots plutôt que d'accepter. Cela tombait finalement très bien, puisque le dieu lunaire semblait depuis le couronnement assez déterminé à pour une fois éviter la solitude qui lui faisait trop souvent office de compagnie. Mais plus l'alcool se répendait dans ses veines, plus la fureur qui l'avait poussé à cet énervement soudain s'estompait. Ce sentiment fut étrangement agréable et bientôt, la tête aussi légère qu'une plume elle en oublia la raison première de cette danse.

Tout d'abord rigide comme une épée, la demoiselle accepta de se laisser guider sans sourciller avec délicatesse par l'homme de la Lune qui elle s'en doutait, n'avait pas non plus l'habitude de ce genre de situation exposante. Il avait hésité à l'accompagner et l'avait quand même fait bien qu'elle s'était comportée comme une véritable mégère avec lui. Mais elle n'y pouvait rien, l'idée seule qu'un immortel l'approche la rendait plus farouche qu'un lion. Il faisait bien de s'excuser ! Après tout, elle serait déjà partie si il ne lui avait pas fait du chantage. Cependant, la situation demeurait sacrément ironique, alors que c'était elle qui s'était acharnée à réduire tous ses maigres efforts à néant. "Dans mon infinie bonté, je vous pardonne !" se moqua-t-elle. "Vous aurez essayé. J'imagine qu'au moins j'aurais contribué à la propreté de la salle !" Mani leva un bras et elle se laissa tournoyer avant de revenir poser sa paume contre la sienne. Elle fronça les sourcils un instant, une bribe de leur conversation précédente lui revenant en tête soudainement. "Je ne pense pas que la Lune ait moins d'importance que le Soleil. " dit-elle comme si elle eut une illumination. "Je veux dire, elle brille tout autant, mais d'une autre façon. Vous tirez tous les deux vos astres sur vos chars et êtes tous les deux porteurs d'un énorme fardeau. C'est ridicule, c'est exactement la même chose ! Mais la lune brille quand il fait noir alors que le soleil ne brille que quand il fait clair." Le pressé avait fait remarqué, avec peine ou bien soulagement, que son astre était à son sens moins important que celui de sa soeur. Était-ce vraiment là ce qu'il pensait ? Roskva trouvait ca totalement absurde, et dans quel cas il aurait raison, il n'avait pas à se plaindre d'avoir moins de travail ! Voulait-il être important pour les dieux ? Le concerné à l'instar de sa soeur, était toujours discret et en retrait. Il avait durant toute la soirée cherché un moyen d'éviter sa fidèle solitude mais son comportement désinvolte lui rappelait bien que trop Thialfi. Comment pouvait-on se complaire dans cette situation où la liberté a été arrachée ? Il se ferait bien plus remarquer si il appuyait Sol dans ses rebellions. Non, définitivement, il se sous-estimait. En tant normal, Roskva n'aurait rien dis de plus mais maintenant qu'elle était calmée et enivrée, une once de bonté qui se voulue rassurante refit surface. "Et puis sans Lune, le monde s'écroulerait." Ses iris se plantèrent l'espace de quelques secondes dans les siennes, et ses lèvres s'étirèrent en un sourire sincère l'espace de quelques secondes, avant que l'alcool ne lui fasse tourner la tête de nouveau, la faisant se rattraper par précaution au bras de son cavalier mais honteuse, elle se dégagea violemment en râlant avant de reprendre la danse. Jusqu'à la fin des festivités, l'enfant de Midgard ne reprit aucun verre de plus, et continua, les pensées flottantes et la démarche légèrement maladroite, à danser avec le compteur d'années aussi longtemps que son esprit embrumé le lui permis car bien qu'elle ne l'avouerait jamais, faire une petite pause dans sa guerre contre les dieux lui fournissait le plus grand bien et il semblait que son compagnon avait lui aussi bien besoin de se changer les idées.