es prunelles d'écorce s'entichaient avec excès des richesses qui chatoyaient juste devant elles, et déjà, il songeait à ce qui était plausible d'accomplir avec pareil butin. N'existait aucun homme qui n'appréciait pas l'éclat de l'or et les jeux luminescents des gemmes, quand bien même la cupidité différait d'un individu à un autre. Il devait bien reconnaître que s'il était resté sur son archipel méridional, il n'aurait probablement jamais eu l'opportunité de vivre de telles aventures – comme celle de se lancer sur les traces d'un dragon, avec l'idée sous-jacente de lui dérober ce que ceux de sa race chérissaient le plus, disait-on. Toutefois, le phonème de l'érudit l'arracha à ses chimères pleines d'opulence, et il obvia son attention vers ce dernier. S'il ne dit mot, il n'en pensa pas moins, n'y avaient pas que les pièges des nains qui étaient périlleux, cette expédition était placée sous l'arcane de dangers mortifères depuis ses prémisses, et non mécontents d'avoir déjà eu à franchir plusieurs épreuves, ils avaient foncé tête basse vers la suite des réjouissances. Il était trop tard pour se souvenir qu'ils risquaient leur vie, mais il ne l'était jamais d'être prudent, et le hasard se chargea de le leur rappeler lorsque Aina fut la première à déclencher un mécanisme, qui fut suivi d'un mutisme d'appréhension, puis de la valse d'une lame avide de sang qui traversa toute la pièce. Même s'il ne lui sembla pas être sur la trajectoire, Arnorr veilla tout de même à vivement s'écarter pour s'écraser contre la paroi, avant de vérifier d'un simple regard si tous ses comparses étaient encore en un seul morceau. Il se rapprocha d'eux au moment même où le colosse sembla trouver fin à sa patience, et il fut bienheureux de ne pas être la cible de son mécontentement. L'avertissement lui tira un discret rictus goguenard, rien que pour voir Thorolf leur forer un nouveau passage avec le crâne de Njall, il avait comme l'envie de lambiner à la tâche, mais il ne tenait pas à finir ses jours dans ce dédale souterrain.

Ce fut cette fois la voix de la thraell qui retentit, et vers celle-ci qu'il tourna un œil nonchalant, jusqu'à ce qu'elle l'interroge du regard comme s'il détenait la clé de sa phrase. Il fut pour le moins désarçonné lorsqu'elle s'adressa à lui dans un dialecte enfoui aux tréfonds de sa mémoire, et qu'il n'utilisait qu'en de très rares opportunités. Sa surprise fut telle qu'il ne sut quelle réaction adopter, ne point faire attention et lui répondre dans le même idiome, ou se renfrogner car elle insultait le viking qu'il était – théoriquement – devenu, ce dont il n'avait vraiment cure, tout n'était jamais rien qu'une question d'apparence. « Mécanisme. Je vois... » Répondit-il finalement d'un timbre quelque peu hésitant, presque timoré, avant de songer à effectivement aller vérifier la partie encore plongée dans la pénombre. Avant de s'y atteler, il prit une poignée de pièces dorées et l'enfourna dans sa besace, pour la route, comme s'il avait s'agit d'un dédommagement pour le déplacement. Mais il n'eut point le loisir de s'éloigner puisque soudainement, l'écho d'un second piège qui les contraignit à ne plus bouger, et le sol qui se déroba sous les pieds de Livia – et presque les siens. Une fois n'étant pas coutume, il se plaça en sécurité, une étincelle agacée dans ses calots en voyant l'ensemble des coffres disparaître dans le trou dorénavant formé. Plus de peur que de mal, ils s'en sortaient une fois de plus, et il était même probable que la providence leur ait déniché une issue. Après avoir confié la torche à une autre poigne, le pisteur posa une rotule par terre et se mit à observer le gouffre. « J'ai comme l'impression que j'ai pas vraiment le choix. » Il réfléchit un court instant, puis se tourna vers la donzelle au crin d'ébène. « You shouldn't talk to me in another language than the one they speak here. Not in front of people, at least. » Il l'observa, sérieux sur ce point, non sans sentir la curiosité de leurs compagnons qui étaient incapables de comprendre. Il notait dans son esprit qu'il lui faudrait peut-être s'entretenir avec la thraell à l'avenir, ne serait-ce que pour mettre certaines choses au clair avec elle.

Cela étant, il se redressa et décréta. « Une corde, et je descends. » Il en trouva rapidement une et l'installa précautionneusement, non sans une nouvelle fois confier la surveillance de celle-ci à Thorolf. Il se mit ensuite en position, mais avant de disparaître, jugea bon de préciser. « Soyez gentils, ne vous amusez pas à bouger dans tous les sens pour actionner d'autres pièges pendant mon absence. » Il considéra chacune des personnes présentes, puis se mit à descendre non sans prudence, jusqu'à atteindre ce qui s'apparentait à un passage à plusieurs mètres en-deçà de la grotte. En y posant pied, il hasarda un regard en contre-bas, mais il ne parvint à distinguer les coffres échoués dans les sombres profondeurs. A demi-courbé sur lui-même, il partit en éclaireur à travers le tunnel, une main constamment sur la paroi pour ne pas égarer son chemin, et il arriva plus vite qu'il ne le pensa à ce qui s'apparentait à un cul-de-sac. Toutefois, un courant d'air s'introduisait effectivement par la rocaille, signe que la liberté se situait juste au revers, et de plusieurs coups de pied, Arnorr tenta de s'en assurer. Après moult efforts, il réussit à briser une partie de la roche, suffisamment pour apercevoir un paysage enneigé qui lui arracha un ricanement victorieux. Il fit ensuite demi-tour et s'adressa à ses camarades depuis l'accès au passage. « J'ai trouvé une sortie ! Mais faut être à plusieurs pour l'ouvrir. Descendez un par un, je vous réceptionne ! »

Et le premier piège s’activa. Une lame meurtrière filant droit vers Aina et Thorolf. L’érudit n’osa pas réagir – et n’en eut pas le temps – mais, fort heureusement, le couperet passa près de ses deux cibles avant d’aller se figer dans le mur. Aucun mal. Njall souffla de soulagement et s’agenouilla, caressant les dalles autour de lui, étudiant le moindre détail. Y avait-il moyen de percer le mystère de ses pièges ? Y avait-il le moindre indice caché, ou les « enfants de Dvalin » étaient-ils censés se souvenir du positionnement des pièges à la seule aide de leur mémoire ? Mais les pensées de l’érudit furent vite balayées lorsqu’il remarqua le regard lancé par le colosse à son adresse, suivi par une réplique assassine. Devant une telle agressivité, il se contenta de sourire, un large rictus méprisant étirant malgré lui ses lèvres. Voilà que le glorieux viking se comportait comme le plus imbécile des sangliers, mais cela était-il une surprise après tout ? Tel un animal sauvage, au moindre danger irrésolvable, il paniquait et ne pouvait répondre que par la violence.

Fort heureusement, la douce Livia vint vite calmer la colère du guerrier, et Njall lui adressa un rapide regard reconnaissant. Quel étrange couple que cette montagne de muscles et cet esprit ouvert, deux mondes opposés culturellement et géographiquement, et pourtant leur union semblait naturelle. Plus que tout, Njall n’osait imaginer la fureur de Thorolf à son égard si la douceur de l’Amour portée à et par sa promise n’était pas présente pour adoucir son cœur.

Pendant que tous cherchaient à présent une sortie, lui-même porta son attention sur un autre coin de la pièce. En silence, concentré, il s’approcha du coin sombre et se figea soudain pour ramasser un morceau de dalle brisée, qu’il envoya droit devant lui. Le fragment fila, rebondit une première fois, puis une seconde fois, déclenchant un nouveau mécanisme : quatre pieux de fer, deux au sol et deux au plafond, jaillirent subitement avant de se rétracter. L’érudit contourna le piège et s’approcha d’un squelette, dont l’état laissait supposer qu’il n’avait pas eu autant de jugeote que le viking. Mais, plus intéressant, une besace reposait à côté du cadavre : à l’intérieur, deux pierres précieuses, quelques pièces d’argent, mais également un cube d’acier, tenant dans la paume de sa main, aux arrêtes renforcées de fines lignes d’or. Sur chaque face, des dizaines – non, des centaines – de minuscules runes étranges gravées avec une incroyable précision. Qu’était-ce ? En entamant quelques prémices de traduction, Njall sentit son esprit s’emballer. Un carnet de notes dvergr. Il s’agissait d’un simple support d’écriture, mais pouvant contenir quelques informations intéressantes y compris, de ce qu’il pouvait rapidement voir, quelques évocations du dragon. Cela parlait-il de celui se terrant ici ? Si cela était le cas, les dvergr étaient donc venus en ce lieu il y a peu ? Non, cela lui paraissait peu probable. Un autre dragon peut-être ? Tout ceci méritait quelques longues études en guise d’épilogue à cette aventure ?

"Une expédition fructueuse pour tout le monde…" murmura-t-il tout en embarquant la besace.

Soudain, un bruit étrange. Un grincement. Le cœur de l’érudit s’emballa aussitôt. Un nouveau piège ? Il fit volte-face et vit le sol se dérober devant ses compagnons, emportant avec lui une grande partie des précieux coffres et, en plus, Livia. Njall bondit aussitôt, sautillant pour éviter la dalle piégée repérée plus tôt, puis s’arrêta en constatant que le colosse n’était pas près de lâcher sa promise, au sens propre du terme. À la remarque de celle-ci, ayant retrouvé le plancher des vaches – ou en l’occurrence des nains – il ajouta :

"Quatre pièges même, en comptant celui dans le coin là-bas." Il désigna la zone à laquelle il s’était intéressé. "Et sans doute pas les seuls. Maintenant, pour sortir, voyons…"

La solution semblait être en bas, mais l’érudit observa malgré autour de lui si un mécanisme ne pouvait se trouver quelque part. Mais, surtout, il tendit l’oreille, lorsqu’une langue étrangère résonna à ses oreilles. Il n’avait pas compris le mot de Livia, mais le sens de ceux d’Arnórr ne lui était pas étranger. Le pisteur ignorait-il que sa langue faisait partie des – trop – nombreux sujets d’étude de l’érudit ? Évidemment, l’accent n’aidait pas en rendant la compréhension hasardeuse, mais… Pas parler langage que… celui parlé ici ? Oui. Sans doute. Peu sûr. Pas devant… les gens ? Devant eux, il supposait. Ne pas parler leur langue natale en leur présence ? Tiens donc. Il ne fit néanmoins pas la moindre remarque et retint un sourire, tout en reportant son attention sur la pièce. Aucune échappatoire de ce côté visiblement, la seule solution devait bel et bien se trouver en bas, comme proposé par Livia.

Soutenu par Thorolf, le pisteur descendit sous le regard de l’érudit qui, une nouvelle fois, embrassa les lieux du regard. L’heure était aux adieux, car si sa curiosité maladive lui hurlait d’explorer un peu plus cet endroit, il doutait de pouvoir convaincre ses compagnons d’accorder une minute de plus à cette zone mortelle. Quel dommage. Au moins avaient-ils récoltés quelques richesses et autres découvertes intéressantes, et tant pis si le dragon ne le dragon ne leur avait pas fait l’honneur de se montrer. Le désagréable, l’odieux même, bain de déjections, n’aura finalement révélé comme utilité que l’agression de leur ego, et de leurs narines. Mais peu importait à présent.

Il entendit finalement l’appel du pisteur. Une sortie avait été trouvée. L’heure de partir.

"Brillants inventeurs et détenteurs de tant de trésors et tant de mystères, je vous remercie pour cette hospitalité." murmura-t-il dans un rire sarcastique.

Comme le reste de ses compagnons, il descendit à la corde. Comme eux, il rejoignit le pisteur. Comme eux, son esprit tourné vers leur échappée belle, il s’acharna à agrandir l’ouverture vers l’extérieur, révélant un peu plus le paysage enneigé. Comme eux, enfin, il s’échappa de l’antre du dragon, du labyrinthe montagneux, des réserves secrètes naines. Ils étaient sortis. Un dernier regard en arrière. Puis reprendre la route, retourner au village. Sans doute tout ceci allait mériter une célébration. Un repos bien mérité. Un long nettoyage serait la première chose que l’érudit ferait, suivit, bien entendu, par l’étude du « carnet de notes » dvergr. Son travail était bien loin d’être terminé.

Mais peut-être, seulement peut-être, s’accorderait-il un instant pour fêter cette belle aventure. Car malgré les difficultés, malgré les tensions voire les rancœurs, l’érudit avait apprécié cette aventure en compagnie de Livia, Thorolf, Aina, et même d’Arnórr. Pour une fois, Njall n’avait pas été seul dans sa quête de nouvelles découvertes.