Rust & Salt

Telle mère telle fille, mais parfois, le bourgeon n'a pas encore le parfum de la fleur parfaitement éclose.

L’écume barbotait plus qu’à l’accoutumé dans les fonds marins. Un linceul agité se pâmait dans les gouffres salins, reflétant le vif des émotions divines. A n’en pas douter, l’humeur n’était pas au beau fixe dans le sérail aquatique. A qui la cause ? Cette question taraudait la dernière vague d’une insipide nervosité alors qu’elle dévalait tout juste les courants profonds jusqu’à choir devant les lourdes huis dorées de l’auguste hall. Un fieffé servile se précipita en silence jusqu’à la donzelle dégoulinante d’eau de pluie, ses lippes remuant d’une dévotion ordinaire envers tout membre de la prestigieuse famille des mers. Avait-t-elle besoin de quelque chose ? L’envie de glisser dans les nuées fumantes d’une eau brûlante lui faisait fameusement envie... Le désir sitôt exsudé de sa gorge, que l’un des serviteurs flânant à proximité se ruait déjà dans le dédale de la mosquée subaquatique pour exécuter son pensum quotidien. Le tout dans un silence caractéristique aux domestiques de la maisonnée.

La chose faites, Hefring lorgna alors l’hospitalier laquait d’une œillade curieuse. Le boy parut soudainement se rétrécir à vue d’œil sous l’inquisition appuyée de la vague dorée. « La cime céleste et les flots semblent bien agités…. » Un éclair transperça le regard du plus jeune éphèbe qui se montra d’abord hésitant, puis trouva finalement une erre de courage pour lever le voile sur les détails des derniers faits qui avaient tout récemment secoués le palais. Qu’aurait-il pu se passer en l’espace de vingt quatre heures ? Partie la veille au soir, Hefring avait rejoint la carne amère du dieu Vengeur de suite après avoir ouïe des rumeurs au sujet de la mort de sa défunte mère. Elle avait quitté le temple immergé, après avoir glissé un mot rassurant à l’une ses sœurs quant à sa dérobade éphémère, le temps d’aller juger de ses propres mirettes inquiètes l’état de son ami solitaire. Et force est d’admettre que cette petite escapade ne fut pas forcément rose en couleurs. Le freux millénaire avait perdu l’être le plus cher à ses yeux. La seule dont la mort pouvait broyer l’antique déité d’un claquement de doigts. Car brisé, il l’était. Malgré le fiel et l’orgueil, la froideur et l’arrogance. Ce panel d’indigence ne permettrait qu’un simulacre de tempérance. Un voile de fausseté. Un faciès austère sous les traits desquels fulminait un blizzard digne de la Tempétueuse….

"Le prince d’Asgard est venu…" « Thor ?! » Nom d’un kraken, à quoi rimait cette visite ? Car dans le timbre flageolant du serviteur flottait une once d’anxiété. Une visite de courtoisie ordinaire du lion doré était à prohiber... Dispute entre ses parents et le flavescent héritier du panthéon céleste? Quel tourment avait donc attiré son vieil ami jusqu’aux entrailles du spéos océanique ? Par Hel tout puissant, qu’il était frustrant d’avoir tant de questions et si peu de réponses. C’est dans cet état d’esprit alarmé que la dernière vague s’en allait rejoindre son gynécée pour se revigorer d’une bonne trempette dans l’eau chaude avant d’aller quêter les réponses voulues auprès de l’un de ses parents. Elle ne pouvait décemment se présenter dans cet état désolant, tel un chiot errant un jour d'averse. La bruine persistante de Vanaheim avait blêmi sa chair et baillé sa crinière en un amas d’algues échoués au sommet de son crâne. Ses nippes de cuir auburn suintaient d’un voile hyalin, témoignant de sa récente excursion hors les murs. Une courte promenade extrinsèque avant de retourner à ses devoirs de Vague…au risque d’attiser le courroux paternel.

Mais en chemin dans le dédale de l’immaculé palais, la jeune dryade s’arrêta en bon chemin devant l'apparition soudaine d'un obstacle dans l’épicentre d’un carrefour de couloirs. Ou pour être plus exact, elle se figea juste à temps pour éviter d’emboutir directement dans nulle autre que sa mère, qui surgit depuis une autre artère dans un silence imparable. Le râble courbé, les pieds dressés sur les orteils, Hefring fit un pas en arrière pour éviter l’embardée et mira instantanément ses saphirs curieux et derechef nerveux sur sa génitrice. Comme souvent, et surtout ces derniers temps, la vaguelette sentit le poids de l’intimidation avachir ses omoplates et ployer son échine d’une aura respectueuse. « Mère » Fichtre, elle aurait préféré avoir eu le temps de se débarbouiller le museau avant de tomber sur l’un de ses aînés. Sa mère qui plus est ! Bah, qu’importe maintenant… « Mes excuses, j’étais perdue dans mes pensées.. »murmura t’elle sans lâcher la marâtre adulée de ses gemmes curieux. C’était là une situation propice à saisir pour assouvir l’abîme curieuse qui dévorait son âme d’un aquilon intrigué. « J'ai cru entendre que Thor vous avait rendu visite? » Direct. Sans détour. Hefring n’était pas le genre de volatile friand du babillages inutiles en ce genre de circonstance particulière. Dans la bouche de la flave sylphide, l’étiquette du Prince d’Asgard était facilement substitué par le prénom du concerné, le tout dans un élan affectueux vis à vis d'un ami de longue date. Elle connaissait l'Impétueux guerrier depuis l'aube de sa jeunesse, à croiser l'estoc au grès d'une chamaille amicale où à babiller autour d'une choppe de bière brassée. Bon ami? Presque un frère à ses yeux.

‘Arriver à un moment inapproprié’… c’est la première réflexion qui fendit les mailles neuronales de la vaguelette. D’une précaution drillée, ses mirettes oscillèrent jusqu’aux deux lacs tremblants de sa mère. Deux billes sombres zébrées d’un orage défavorable. Derechef, l’ambiance lourde et tendue lui mis la puce à l'oreille et pour une fois, Hefring regrettait de s’être hâtée à vouloir rejoindre sa niche spirituelle. Quand la Tempétueuse avait l’humeur aux abois, mieux valait ne pas traîner dans les parages, même lorsqu’il s’agissait de ses filles. En temps ordinaire, la princesse des mers aurait sitôt fait de s’excuser en marmonnant des excuses semblables à des échos éphémères. Elle aurait respecté son fuligineux ichor en s’éclipsant de sa vue en quelques enjambées rapides et silencieuses. Mais la flave vague ne pouvait se résoudre à taper de l’enclume sur sa curiosité affamée. Pas lorsque son vieil ami se dépistait au cœur de l’affaire. Quitte à s’en brûler les lèvres…

Les paroles débitées par sa génitrice ne firent qu’exciter au mieux son appétence de l’intrigue. Accusation de trahison ? L’idée même d’imaginer la famille des mers se faire baptiser de judas par le prince doré lui semblait incroyablement burlesque. Ce n’était pas dans le tempérament de Thor de blasphémer de la sorte dans une prise de légèreté passagère. Venir attaquer de front la famille des mers... Pire, les parents d’une vieille amie ! Voilà qui ne laissait aucun doute sur une gravité de cette visite. Même si le lion d’Asgard était parfois réputé pour agir spontanément sous les affres d’une impulsion si usuelle le concernant, tout de même… Ce tapage inattendu avait-il un quelconque lien avec le capharnaüm produit par le retour nébuleux de la prétendue mère de Thor ? Hefring était vaguement au courant de l’ancienne complicité de la déesse de la nature avec ses parents. Et, dans la foulée, du côtoiement récent entre les deux partis. De quoi susciter une curiosité fugace dans son esprit nomade...

L’ordre qui scella le discours maternel la fit cependant grimacer. D’ordinaire, c’est de son père qu’elle se faisait psalmodier en ordres. Rarement par sa mère. Le malaise l’assaillit sitôt que l’exigence claqua dans l’air. Ferme et sans équivoque, elle ne laissait le choix à sa progéniture de mettre l’accent sur la rébellion. Pourtant, plus que d’une habituelle frustration, c’est la confusion qui fit l’éloge de barbouiller son faciès. Parce qu’après un début houleux, la journée passée avec Vidar s’était finalement bouclée sur des boutades complices et des promesses de croiser le fer dans les prochains jours pour dissiper les frustrations accumulées. Or, la voici assujettie par l’ordre parental pour un délai inconnu. Quelques jours ? Des semaines ? Des mois ? L’idée répugnait la belle qui, toutefois, recouvra un tant soi peu d’obligeance devant la matrone du palais. Le trouble se dissipa, remplacé par une mine qui se voulait neutre. Presque...

« Trahison ? Est-ce que cela aurait un rapport avec Jord ? » Hefring ne tournait pas autour du pot bien longtemps, ni ne mâchonnait ses mots lorsqu’il s’agissait de percer l’intrigue du jour. Si elle avait délibérément choisi de ne pas relever d’une remarque le dernier ordre, ou même de l’approuver d’une indice respectueux, c’est bien parce qu’elle craignait de monter sur ses gonds devant la Tempétueuse. Or, plus que tout, la petite vague avait toujours pris soin de ne pas l’affronter en bon mini-sosie qui se respecte. Elle adulait trop sa mère pour se laisser aller aux ichors retentissantes qui tonitruaient haut et fort devant le paternel. Au grand damne du concerné... « Peut-être pourrai-je aller discuter avec Thor? J'arriverai peut-être à le raisonner... »proposa t'elle finalement d'une voix prudente, son regard toujours enclavé dans celui de sa marâtre. Asgard n'était pas Vanaheim, est-ce que le nouvel ordre s'étendait à tous les royaumes hors les limites du palais? Qui sait... Quoiqu'il en soit, Hefring était loin de connaître l'implication de ses parents dans l'affaire qui semblait préoccuper son ami d'enfance. A force d'esquiver le palais aquatique, la neuvième vague se voyait fort peu avisée des dernières nouvelles...

La mère et la fille se faisaient face dans un affrontement modéré mais progressif. Pas de quoi alarmer le seigneur poulpe. Pour l'instant... Malgré tout, mieux valait, pour les habitants du palais, éviter la reine des mers à cette heure de tumulte intérieur, où l’humeur mettrait longtemps à retrouver le sentier d’une quiétude éphémère. Manque de pot, alors que les deux silhouettes se dressaient de leur superbe stature dans ce décor familier, Assan débarqua au hasard d’un couloir et, apercevant d’abord la silhouette de sa meilleure amie, ouvrit son bec d’un sourire curieux. « Hey Hef’ ! Comment ça s’est passé avec Vidar ? Tu.. » Mais l’assistant du maître forgeron resserra les vis de sa mâchoire lorsqu’il aperçut ensuite la Tempétueuse. Présent depuis l’aube, le jeune dieu ne connaissait que trop bien l’humeur de la dame depuis le départ du prince d’Asgard. Aussi, au lieu de poursuivre sa route pour saluer son amie d’une étreinte usuelle, le jeune Ase préféra adresser un signe poli de la tête aux deux dames avant de s’éclipser telle la brise éthérée d’un soir doux dans un petit couloir annexe. La neuvième vague se retrouvait à nouveau seule avec sa mère, l’humeur inchangée après le passage bref de son ami dans les parages. Elle se retourna vers sa génitrice, impatiente de savoir si cette dernière la laisserait contacter Thor. Vidar? Comment pouvait-elle savoir que ce nom portait presque malheur au sein du couple des mers? Née bien après les tumultes amoureux du dieu Vengeur, Hefring n'avait jamais su que son improbable ami avait, par le passé, maintes fois réitéré les tentatives d'attirer le cœur de la Tempétueuse à devenir sien et non celui du dieu des mers. Jamais ses quelques rares sœurs au courant de ses fréquentations avec le Rancunier n'avaient eut l'idée de la mettre au fait de cette saugrenue histoire. Ses parents ignoraient d'ailleurs que leur dernière vague côtoyait le vile renard. Dieu sait quelle serait leur réaction dans le cas contraire. Car lorsqu'un dieu de la vengeance se prenait un râteau monumental, mieux valait prier pour ne pas être la cible de son impérissable vengeance... Et la Téméraire ignorait tout de son implication dans cette vengeance vieille comme le monde qui, depuis lors, ne demande qu'à s'accomplir...

L’Ondine regretta bientôt sa propre nescience des dernières conjonctures qui avaient secoué le perchoir des dieux jusqu’il y a peu imperturbable. Au moins celles impliquant à priori le couple des mers dans une fondrière de férins soucis. A force de chercher l’épopée loin de sa cage dorée, les mésaventures de son foyer lui échappaient souvent telle une poussière nébuleuse qu’elle ne parviendrait à saisir de bout de ses indolentes phalanges. Mieux apprivoisées par la chartre parentale, ses aînées avaient le bénéfice de prêter une oreille plus attentive aux bourdonnements de l’enceinte aquatique. Ce qui ne les empêchait pas de faire lanciner la benjamine en feignant l’ignorance. Sacrées chipies…

La blondine ne s’offusqua nullement lorsque sa mère glapit d’un rire sardonique. Raisonner Thor ? L’initiative semblait prédisposée à un échec cuisant, à même titre que vouloir calmer à toute heure les ardeurs de la Tempétueuse. Persévérance héroïque, mais superflue compte tenu de leurs tempéraments respectifs. Si l’obstination de la neuvième vague n’était plus à contester, elle faisait piètre allure à côté du prince doré. Y a-t-il plus entêté que ce grand gaillard aux idées bornées ? Pas dans son vaste entourage… Et qu’importe l’authenticité de leur amitié, la tête de mule restait fidèle à elle-même. Un vieux mulet qui ne courbera l’échine que pour une pinte bien brassée. Et encore...

Sa génitrice reprenant contenance, ses lippes séculaires commencèrent à remuer, sûrement pour l’épiloguer sur la raison potentielle qui avait acheminé le maître de Mjöllnir loin de la cité dorée. Toutefois, les mots moururent sur la courbe de ses lèvres lorsqu’ une pléiade de pas furtifs dévalèrent depuis l’une des artères de pierre. Une interruption éphémère puisque le gaillard fut prompt à se faire engloutir dans l’ombre d’un couloir adjacent aussitôt qu’il aperçut la marâtre du palais. Hefring s’étonna de voir son complice de toujours se dépêcher de glisser sa svelte carcasse loin du pairing leste à l’emportement. De toute évidence, l’épouse de la Mer avait eut le temps de répandre sa colère routinière dans les boyaux raffinés du sérail aquatique. Les murs transpiraient un silence atypique caractéristique d’un venin progressif. Gare aux malheureux domestiques qui s’égareraient dans le passage de la dryade de glace. Il n’était jamais bon d’attirer l’attention d’un instinctif Orage.

Vidar… ? Le prénom rebondit dans ses oreilles comme le plus virulent des poisons. De langue aigre à langue d’acier, la mauvaise humeur de la Tempête parut avoir surenchérit d’un cran. Tiens ? La neuvième vague la dévisagea d’un regard sceptique. Qu’elle connaisse le dieu de la Vengeance ne l’étonnerait pas. A vivre au grès des millénaires écoulés dans le périple d’une vie indéterminée, l’univers devenait un microcosme accessible pour ceux qui savaient éviter les sentiers mortifères. Mais le ton employé ne laissa aucun doute sur l’appréciation de Ran envers ce nom. Un instant, Hefring en vint à se demander si une telle réaction s’expliquait par le sentiment dédié à celui qui avait capturé le cœur de leur Vague disparue pour l’emmener ensuite loin de la résidence océanique. Mais ce Vidar là, époux de leur défunte Angeya et père de la princesse Sif et d’Heimdall, le gardien tant respecté, avait trépassé depuis des lustres. Était-il la référence de cette rage expressive qui semblait progresser de manière alerte sur le faciès d’ivoire de la grande brune ? La question que chassa la langue maternelle rompit court à ses doutes. Non, bien entendu. Cette dégaine de curiosité était plutôt inhabituelle. Intriguant. Elle qui se confiait peu à sa mère, celle-ci n’étant pas l’oreille la plus tendrement attentive aux frasques de sa progéniture, mais aussi, parce qu’en vue des excursions sempiternelles, les récits et connaissances en deviendraient longs et barbants. Seules quelques unes de ses sœurs, Dufa en confidente privilégiée, pouvaient se faire bassiner les oreilles par l’excitation mal retenue de la puinée.

« Il y a bien des gens que je rencontre et nombreux dont je ne t’ai jamais fait mention… »entama t’elle d’un élan hésitant face au diapason comminatoire de la Tempétueuse. Si en effet, elle connaissait le Vengeur et pire, désapprouvait sa personne, Hefring ne souhaitait pas que les sentiments de sa mère s’étalèrent sur les siens. Elle chérissait son amitié pour l’Opportuniste incarné, même si son cœur criait autre chose. Une chaleur partagée entre douceur et confusion. Une joie contenue dans l’inexpérience d’un sentiment universel. « C’est un ami…je l’ai rencontré dans le palais de Frey il y a quelques années. Il a perdu sa mère pendant l’invasion des Jotuns, j’ai voulu m’enquérir de son état… » Ses iris bleus s’éloignèrent du regard maternel devenu soudainement inquisiteur et qui la transperçait d’une lucidité caractéristique. Elle n’a jamais été très bonne comédienne pour dissimuler la mosaïque de sentiments qui pouvait chatoyer en son âme. Ce, à tout moment. Un vrai livre ouvert, à son grand désespoir… Soupirant, la blondine se remémora la douleur visible qu’elle avait aperçut sur le visage de son aîné lors de sa dernière visite. Un chagrin brûlant et criard, seulement visible à travers le bleu glacé de ses prunelles millésimes. Si l’un de ses chers parents venait à décéder, les marins se verraient forcer d’affronter l’enfer d’une houle accablante. Elle avait déjà perdu une sœur, elle ne sait si elle saurait endurer une nouvelle perte… « Tu allais dire quelque chose à propos de Thor… » Si sa curiosité avait largement été titillée à l’adresse de Vidar, Hefring n’en arrêtait pas moins penser à la venue inattendue de son vieil ami dans le foyer océanique. Ses paroles, ses actions, qu’a-t-il pu bien se passé en son absence pour que sa mère soit voilée d’une telle exaspération ? Elle n’était pas d’humeur à gratiner des informations lorsque la Tempête grondait de menace, mais puisqu’elle avait commencé à parler de Thor, peut-être son aînée serait-elle enclin à lui expliquer la situation. Crochetant ses bras l'un dans l'autre, la vague dorée attendit, peu sûre mais curieuse au jamais.