Comme un poisson dans l'eau

L’eau m’effraie. C’est ridicule, je le sais bien : mais depuis mon retour en Asgard, mes songes sont emplis du souvenir de cette vague immense qui a tenté de me briser sous son poids. Je n’ai pas été blessée à ce moment-là, et dans la panique du moment j’ai su réagir, me protéger, remonter à la surface et respirer – mais en usant de magie, pas de mes compétences physiques. Et je me suis sentie pitoyable, misérable même, réfugiée sur ce radeau avec toute la superbe d’un chaton à demi noyé. Et je me suis fait la promesse d’apprendre à nager, si par miracle je venais à survivre… De retour à Asgard plus ou moins sauve, je tiens donc parole.

Qui serait le plus apte à m’enseigner ? Parmi toutes les divinités des eaux, la famille des océans me semble bien évidemment la plus indiquée, mais la froideur de Ràn envers ceux de ma lignée m’a dissuadée d’aller solliciter son aide. Une de ses filles, peut-être… ? Je les ai mentalement passées en revue, de ce que je sais d’elles, ayant bien plus d’échos et de bruits de couloir à lister que de réels souvenirs à analyser. L’on ne voit que fort peu les Vagues en Asgard, et j’ai dirigé mes pas vers le lac, songeant que si l’une d’elles venait  s’y trouver, je pourrais peut-être lui faire part de ma requête. Le lac est grand, mais je ne suis pas pressée – j'en fais le tour, à pas lents, saluant ceux que je croise, mes dames de ma suite babillant derrière moi, Ljöta à mes côtés. Au moment où nous atteignons la moitié de notre promenade, une silhouette isolée à l'écart, près d'une statue en retrait, attire mon regard. C'est Hrönn, murmure Sigrid à mon oreille, la Troisième Vague. Prétextant un besoin d'isolement, je renvoie ma suite vaquer à ses propres occupations et elles rebroussent chemin, escortées par les Einherjar de ma garde. L'un d'eux s'attarde, à bonne distance, mais veillant à me conserver dans son champ de vision – sûrement l'influence de l'un de mes frères se fait-elle ressentir, et je n'insiste pas. Il est loin – je peux m'approcher de la déesse des marées en toute discrétion.

De ce que je sais d'elle, Hrönn est mon aînée, considérablement – son âge la place à peine cadette de ma propre mère, et je me sens bien petite à l'approche de cette âme ancienne. Elle est également la tante de Sif, ma belle-sœur ; cela fait-il d'elle ma... ma... belle-tante... ? Est-ce que cela existe, d'ailleurs, les belles-tantes ? Perdue dans un abîme de réflexions généalogiques, je me suis avancée vers elle sans m'en rendre compte, et je reviens à la réalité lorsque l'ombre de la statue m'atteint. Ramenée brutalement les pieds sur terre, je salue la fille de Ràn avec la politesse des cadets envers les générations passées, mais également avec la distance exigée de la princesse d'Asgard pour tous ses actes publics. Je ne veux toutefois pas braquer Hrönn contre moi, pas alors que je viens en suppliante quémander un service, aussi je double mon salut d'un sourire, exprimant par ce biais la chaleur courtoise que je ne peux mettre dans un signe de tête.

« Dame Hrönn, maîtresse des Marées, je suis bien aise de vous trouver ici, je recherchais votre compagnie. Puis-je vous entretenir un moment, s'il vous agrée ? »

Une princesse ne demande pas permission lorsqu'elle convoque quelque âme pour un entretien, mais je ne l'ai pas faite mander, aussi j'attends son accord. Je ne tiens pas à m'imposer, pas au vu de ce qui m'amène, ni des tensions entre sa lignée et la mienne ; si elle refuse, j'irai simplement voir une autre Vague, mais elle est réputée être la plus patiente des six rescapées...