E Voilà une foutue journée qui promettait d'être bien morne. Si l'on se bornait au bon côté des choses – difficile à détecter pour l'heure mais que l'on pouvait tout de même trouver avec un brin d'imagination – il était tout de même certains que cette journée serait meilleure que la journée de la veille. Pour dire, la journée de la veille avait placé la barre très haut en matière de journée profondément merdique. Quoi qu'il arrive aujourd'hui, si aucun dragon n'attaquait le village en massacrant tout le monde, Elfi se coucherait ce soir avec l'impression de n'pas avoir perdu sa journée, aussi morne soit-elle.

Enfin bref. Les lendemains de ce genre d’événements, c'était un peu comme les lendemains d'une soirée trop arrosée, lorsqu'on se réveillait dans un endroit inconnu et humide, dans une position disgracieuse, avec un mal de crâne affreux, la nausée, et l'impression d'avoir été piétiné par un troupeau qui charge. Si on rajoutait une toux grasse et douloureuse et cette odieuse sensation de brûlure dans la poitrine, on pouvait se faire une petite idée de l'état dans lequel s'était éveillée Elfi ce matin même.

Comme le dragon avait attaqué à l'aube, la matinée lui était apparue comme une éternité toute entière de pénombre et de feu, puis au contraire, une fois le dragon mort et les Dieux partis, le temps s'était évaporé comme un peu d'eau sous le soleil. La journée s'était comme dépêchée d'en finir et avant d'avoir réalisé quoi que ce fut, la nuit hivernale était de retour, les laissant démunis et désaxés sur leur plage détrempée. Elfi s'était empressée de regagner la ferme de sa tante et de raconter l'histoire à tout le monde, puis elle s'était sans doute endormie sur place sans même s'en rendre compte car dans sa mémoire, il lui semblait que l'instant suivant c'était l'aube et que l'on se penchait sur elle pour la réveiller, C'était son oncle Hakon qui avait écourté le repos bien mérité de la rouquine, mais sa fille adoptive n'avait pourtant pas broncher.

Le pauvre avait tout perdu cette nuit, et après la perte de sa jambe durant les derniers raids, Elfi craignait vraiment pour son moral, voir même pour sa vie. Son épouse faisait partie de ces miraculés épargnés par les flammes, surtout des fermiers dans son genre vivants sur leur propre lopin, mais pour Hakon, c'était l'héritage de bien des générations qui venait de partir en fumée. Son père, le père de son père et son père avant lui : tous constructeurs de drakkars. Ils étaient tous nés dans la maison sur la plage, ils y avaient apprivoisés la mer et débuté leur commerce, se transmettant le savoir, le lieu et les outils de génération en génération. C'est bien pour cela qu'Hakon s'était donné tant de mal à se trouver des héritiers, bien pour cela qu'il avait adopté sa nièce, afin de perpétuer tout cela...
Pour toutes ces raisons – et malgré l'apparente gueule de bois – elle l'avait accompagné sans broncher jusqu'à la plage dévastée, pour qu'il voit par lui-même le carnage. Une fois sur place, désemparé, il s'était carrément mit à pleurer, alors elle avait pleuré aussi, le coeur fendu de le voir si anéanti.

De son côté pour être honnête, elle s'en fichait un peu, ce n'était jamais qu'une bicoque et un grand atelier, rien qu'ils ne puissent reconstruire. Mais elle savait très bien ce que la destruction de Tromso signifiait pour les siens, plus particulièrement pour lui qui était comme son père, et toute cette tristesse et cette misère alentours lui ruinait le moral.

Après quelques heures à déambuler avec ses béquilles dans les décombres, la tante Hadda les avait heureusement rejoins, obligeant son mari à se détourner de ce spectacle chaotique et de s'en retourner avec elle jusqu'à la ferme. Elfi était donc restée seule dans les ruines du port, à observer les morceaux de bateau carbonisés flotter entre les morceaux de glace brisés. En y regardant de plus près d'ailleurs, on s'apercevait bien rapidement qu'il y avait aussi pas mal de cadavres dans les déchets rejetés par les vagues glacées.

Sans hésiter, Elfi était entrée dans l'eau gelée jusqu'à la taille pour récupérer les dépouilles et en avait déjà traînés deux sur la plage lorsque la silhouette de Siggy lui apparue non loin. Ils étaient bien loin d'être les seuls à avoir tout perdu dans cette attaque après tout. Les pêcheurs du village étaient à présent dépouillés de tout et sûrement que la grande brune venait tout comme elle constater les dégâts de plus près.

-Y'a eu des morts chez toi ? Demanda-t-elle à la Thraell une fois le troisième cadavre détrempés aligné au côté des deux premiers,

Il y avait eu tellement de morts partout que la question semblait logique et presque prioritaire, surtout pour elle qui côtoyait si souvent la mort et qui avait apprit à vivre avec...