L
e fracas des lames, l'ardeur du combat, la soif de vengeance qui alimentait son cœur. Parer un coup, narguer Hefring, apercevoir du coin de l'oeil l'un de ses compagnons de vengeance se débattant au milieu du maëlstrom de violence et de haine qui les entourer. Entendre les lointains échos de la mort qui arrivait sous la forme de bêtes qui n'avaient nulle place dans un combat de dieux. Le dragon, la chaleur et l'odeur du cuir brûlé, collé à la chair carbonisée, des monstres susceptibles d'apporter la peur des dieux dans un cœur d'Ase. Le cri d'Hefring, son bouclier, poids inutile pendant à son bras le rendant comme infirme. La chute, la douleur, le goût du sang entre ses lèvres, sa vision obscurcie, le guerrier, le dieu de la Vengeance réduit à l'enfant qui apprenait à se battre avec sa mère et dont la garde de l'épée échappe à sa poigne d'homme.
Vidar rouvrit les yeux, le dégoût et la honte au cœur.
Surpris au sortir de son cauchemar, le dieu sombre tenta maladroitement de se redresser, de reprendre possession de ses moyens. Son torse brûlait, l'élançant douloureusement comme si une lame y était profondément enfoncée. L'Ase cilla, tentant de reprendre pied dans la réalité alors que celle-ci l'assaillait avec violence. Cligner des yeux lui faisait mal, vrillant son crâne douloureux, respirer amenait un goût de fer dans sa bouche, sa tête lui tournait et sa conscience le tenaillait plus vilement que toutes les lames du monde. Il se sentait comme s'il avait été piétiné par un dragon et par l'ensemble d'une armé toute entière. Sentiment désagréable auquel s'ajoutait la honte d'avoir failli dans le combat qui armait son bras depuis des millénaires. Ne pas avoir assisté à la déchéance de sa némésis, ne pas avoir su rendre sa mère fière, et avoir survécu. Etre alité n'était pas déjà assez, qu'il fallait en plus y ajouter la possibilité de ressasser son échec.
Rien de tout cela n'était une grande nouvelle.
Il avait passé plus de cinq millénaires à bénéficier d'un corps de guerrier en pleine possesio nde ses moyens, mais à vrai dire, Vidar avait du mal à se rappeler ce que se mouvoir sans douleur signifiait. Depuis la grande bataille dans laquelle il avait espérait assister à la fin, à la mort du Père de Tout, il n'y avait plus que des intermittences de souffrance au milieu de la douceur de l'inconscience. Comme si le dieu de la vengeance était capable de se contenter de la tiédeur doucereuse de l'inconscience ; son corps avait beau lui faire souffrir mille morts, il préférait toujours cela à l'idée de s'endormir gentiment, ou pire de regretter d'avoir pris les armes contre Odin. La vie est une souffrance, dont seule la vengeance pouvait apaiser la douleur. Il était dans la maison des convalescents. Vidar se redressa à demi sur ses coussins pour jeter un regard autour de lui, portant machinalement la main aux bandages qui cachaient son torse. Comme si y appliquait la main avait un jour suffit à calmer la douleur. Sa tête le lançait, son torse le brûlait et il devait porter de nombreuses marques plus bénignes d'un combat acharné. Pour la première fois, depuis ce qui lui semblait des siècles – expression qui venait facilement aux lèvres des mortels, et qui devenait amer à l'esprit d'un Ase – son esprit lui semblait clair, dénué des fièvres et des brumes d'agonie qui l'avaient assaillie depuis que les soigneurs l'avaient récupéré. Mais ce n'était pas le problème
Asgard. Il était à Asgard. Son regard clair se perdit sur la pièce. Il reconnaissait Asgard, et son architecture pour y avoir souvent frayé, avant de consommer complètement sa haine d'Asgard et de son vieux fou de souverain. Après la bataille, il avait été ramené à Vanaheim, avec les autres survivants du camp de Vanes, pour y être soigné et pansé. Après tout, malgré son sang d'Ase c'était là qu'il avait grandi et vécu toute sa longue existence. Chez lui, lieu de sa vengeance. Il n'avait rien à faire à Asgard, et la colère l'envahit – les partisans d'Odin avaient-il décidé de châtier ses opposants ? - jusqu'à ce qu'il tourne un peu plus la tête vers sa gauche.
Jusqu'à Eostre.
La douce, la lumineuse Eostre, que malgré les siècles passants, Vidar considérait toujours comme une enfant. L'enfance souriante qui portait la joie et le printemps, qui courait dans Vanaheim, collée aux basques du jeune dieu ombrageux et réussit à lui tirer un sourire même au plus noir de ses desseins. Celle qui n'hésitait pas à coiffer sa chevelure d'ébène d'une couronne de fleurs dont la splendeur simple et innocente faisait un constrate presque insultant avec le cuir et l'âme de Vidar.
A force de tenter de semer l'enfant dans les rues d'Asgard ou de la retrouver auprès de sa mère chez lui, elle avait finit par lui tirer des sourires qui n'étaient pas aussi sournois que ceux qui ornaient d'ordinaire ses lèvres.
Pourtant aujourd'hui, le soleil semblait s'être éteint. Vidar avait souvent vu Eostre durant les longues nuits d'hiver qui semblaient vider de son énergie (folle) la déesse du printemps et voler la lumière de son regard autant que la chaleur dans le cœur des hommes. Avait-il été délirant tout l'été ? Vidar fronça les sourcils et il passa une main hésitante dans ses longues mèches sombres, moites de sueur, qui lui retombaient devant le visage. Le geste ne lui arracha aucun gémissement de douleur, le dieus se plaisant dans le silence, mais la douleur tiraillait tout de même ses muscles.
Il étendit lentement son bras par-dessus le bord de sa couche, tendant la main jusqu'à effleurer celle de la déesse.
« - Eostre. »Voix calme, mais non dénuée d'une certaine douceur , presque un soupire, comme lorsqu'il tentait de tenter ses victimes, lorsqu'il les manipulait avec une apparente gentillesse venue du cœur. Sauf qu'il y avait un léger souci dans son ton, qu'il ne comptait pas admettre mais que sa migraine l'empêchait de voiler avec autant d'habileté que d'habitude. Par la stupidité du Père de Tout, qu'est-ce qu'il se sentait vieux et usé.