Malchanceuse chute

BEYLA BERTILDOTTIR - VILI BORSON

L'agitation récente avait un peu fatigué le Dieu déchu. Non pas qu'il n'avait plus la force ou l'énergie de s'impliquer ainsi, mais seulement qu'il n'était plus autant habitué qu'avant. Lorsqu'il était encore jeune et qu'il parcourait les mondes, sans s'arrêter, sans prendre le temps de se poser, toujours sur les chemins, toujours en voyage, il pouvait se permettre de très peu se reposer et de se battre. Il avait de beaux restes, il avait aussi et surtout un esprit plus aiguisé et des sens un peu mieux entraînés. Mais son vieil âge avait atteint une partie de sa personnalité qui l'avait rendu un peu plus aigris et réactionnaire. Malgré le fait que sa tranquillité était quelque chose qu'il chérissait, surtout ici, à Midgard, il savait qu'il avait du « travail » à faire. Pas le genre de travail qui pouvait rapporter du pain à sa table ou satisfaire le village. Non. Vili avait déjà donné sa part de générosité. Tout ce qui l'entourait, le terrain qu’il foulait, les choses qu'il voyait et ce qu'il sentait, tout venait de ses petites mains et de celles de ses frères. Rien ici, ne lui était pas redevable d'exister. Et pourtant, si il voulait que ces choses évoluent, vivent, se désagrègent et finissent par mourir pour donner naissance à d'autres, il lui fallait agir. Il ne le faisait pas par plaisir. Ses actions engendreraient une réaction en chaîne qui se révélerait fatale pour beaucoup et surtout, qui changerait les choses à tout jamais. Mais c'était ainsi qu'il fallait faire pour attirer l'attention de celui qui n'aurait jamais du regarder ailleurs dans un premier temps. Le pouvoir, l'envie de pouvoir... Tout cela était des choses qu'ils avaient transmis aux humains. Mais ces notions, données à des êtres qui comptaient leurs années avec des dizaines, ne pouvaient pas se mettre à tout perturber, comme le faisaient les Dieux. Les Dieux se devaient d'être un exemple et ils ne faisaient que se comporter comme des enfants capricieux. Leurs erreurs, par contre, provoquaient de choses bien plus grandes que de simples querelles et ça, ce n'était bon pour personne, ni pour les Dieux, ni pour les hommes, ni pour aucune race sur l'Arbre Monde.

Après l'agitation, le réconfort et le retour au calme. Vili sentait ses millénaires à ces moments là. L'excitation de la bataille, contre-balancée par l'inquiétude du sage qui ne dort jamais et qui le tourmentait sans cesse. Heureusement que ses menues tâches dans le royaume des hommes lui occupaient l'esprit et le tenait actif. Sinon, il finirait par dépérir, devenir une statue de pierre endormie dans sa propre affliction. Ses réflexions noires et mélancoliques revenaient souvent le hanter après de grosses frayeurs. Il oubliait quelque fois sa condition de Dieu, mais ses souvenirs douloureux, ses regrets et ses espoirs venaient se rappeler à lui comme un vieil ami indésirable qui ne peut s'empêcher de toujours frapper à votre porte. Il les accueillait, bien entendu, il les acceptait, mais il devenait de plus en plus dur de garder son calme et de ne pas vouloir aller plus vite. L'impatience, chez un être immortel était quelque chose de profondément étrange. Jamais il n'avait eu envie de précipiter les choses. Jamais il n'avait senti le besoin de se presser ou de se dépêcher. Il prenait la vie comme elle venait généralement, mais les dernières frasques des Dieux avaient finit de le convaincre de faire quelque chose. Après tout si personne n'avait réussis à garder la raison, en haut, alors il se devait de les rappeler à l'ordre avec les moyens du bord...

Mais pour l'heure, le Dieu pansait les plaies des humains, métaphoriquement comme physiquement. Vili descendait souvent en ville pour échanger des services, des objets de sa préparation ou pour simplement avoir un peu de compagnie. Alrid avait aussi besoin de voir du monde, et le commerce était alors un bon prétexte pour quitter la forêt. Le jeune enfant avait ses petites habitudes et il s'était déjà dans une des ruelles pour trouver ses amis alors que Vili passait à l'auberge avant d'arriver par une petite échoppe. Finalement, le vieux se dirigea vers les champs et les fermes pour échanger quelques mixtures avec de la nourriture, des légumes et éventuellement de la viande, si le fermier se sentait généreux. En chemin, il s'arrêta quelques minutes auprès d'une famille dont le père s'était ouvert le bras en chassant. Pas grand chose à faire à part de laver la plaie avec une eau aussi propre que possible et bien sécher. Ce genre de blessures finissaient quelques fois en infection, l'herboriste leur promit alors de repasser les voir pour vérifier l'état de son bras. Ils le payèrent en lui donnant trois œufs qu'il s'empressa de mettre dans sa besace avant de continuer son chemin, saluant à l'occasion des personnes qu'il reconnaissait.

Finalement, la ferme d'un vieux qui s'appelait Agrud apparut en haut de la colline. Le vieux ne faisait plus vraiment les travaux de ferme, de mauvaises conditions de vie lui avaient arc-bouté le dos et il ne pouvait plus que employait des gens pour faire le travail. Ils les payaient avec une part des récoltes. Sa femme s'occupait de tout gérer quand son mari avait trop mal pour bouger ou se lever. Toquant à la porte, l'herboriste entra ensuite directement dans la bâtisse, étant un habitué des lieux. « Bilhild ! Comment allez-vous ? » La femme avait beau être assez âgée, elle avait gardé sa posture et sa constitution solide qui lui avait donné trois grands fils qui étaient à présent avec leurs propres familles. « L'herboriste, tu tombes bien ! » Elle ne s’embarrassait pas souvent de formules de politesse, mais si on la connaissait bien, on savait que ses manières abruptes cachaient un cœur sans fond qui se plaisait à prendre soin des autres. « J'ai une paysanne blessée. » Elle se dirigea directement dans la pièce sociale où se préparait les repas, où on dormait quelques fois et où on recevait les gens. Là se trouvait une jeune fille un peu penaude. Croisant les bras sur sa grosse poitrine, elle dit, très fort « Elle a pas l'air d'avoir envie de se faire soigner. Elle peut dégager si elle le souhaite, par contre, elle sera pas payée. Je paye pas ceux qui ne peuvent pas travailler. Elle a compris ou elle veut que je répète plus lentement ? » Il était vrai qu'entretenir un ouvrier blessé était un luxe que peu pouvaient s'offrir et que Vili n'avait encore jamais vu. La sécurité était la responsabilité du travailleur et les employeurs n'avaient pas le temps de rôder sur les pas des gens qui devaient faire tourner la maison. Bilhild avait l'air de mauvaise humeur, plus que d'habitude. Les rhumatismes de son mari devaient l'avoir tenu éveillé toute la nuit sans doute. Articulant un petit sourire qui se voulait plein de réconfort à la jeune fille, Vili se tourna vers l'hôte de la maison. « Comment va ce vieux Agrud ? Je pourrais peut être m'occuper de lui d'abord et ensuite jeter un coup d'oeil à la jeune fille... » Elle hocha la tête avant de désigner la porte de la chambre où reposait le propriétaire. En attendant, Bilhild attendait toujours la réponse de la jeune fille qui apparemment voulait lui faire perdre des biens, du temps et de l'argent. Vili s'éclipsa quelques minutes dans la chambre pendant que la paysanne répondait à l'hôte. Le vieux était dans un état assez mauvais et l'herboriste ne pu que lui donner quelques bandages et onguents chauffant à étaler sur son dos douloureux. Ensuite, il revint dans la pièce. « Alors, est-ce que vous vous êtes mis d'accord ? Vous partez ou vous acceptez que je jette un coup d'oeil ? » Les champs devaient être plein de travailleurs mal en poing qui donneraient bien une bonne part de leur salaire pour trouver un peu de soulagement entre les mains de Vili. Il n'avait pas forcément de temps à perdre avec quelqu'un qui refusait de l'aide...

Malchanceuse chute

BEYLA BERTILDOTTIR - VILI BORSON

De retour dans la pièce, le vieil herboriste pouvait sentir que l'ambiance n'était pas au beau fixe. En même temps, la jeune fille ne semblait pas particulièrement facile à vivre et ne semblait pas comprendre ce que impliquait son inactivité temporaire sur le terrain de Bilhild. Les jeunes gens obtenaient certainement plus vite la notion de l'argent et des efforts ici qu'à Asgard, mais il existait toujours des exceptions. C'était ça qu'avait apprit Vili auprès des hommes. Malgré ses longs voyages à travers leurs terres, à rencontrer énormément de personnes différentes, il était toujours aussi surpris de voir des humains aussi divers que semblables. Cette jeune femme semblait dans l'âge de faire sa rébellion. Il en avait déjà vu avant et il savait surtout qu'ils ne survivaient pas très longtemps dehors si ils conservaient ce genre de comportement. Après tout, être effronté ne rapportait rien à la maison alors que la pêche et les travaux aux champs arrivaient à mettre de la nourriture dans les ventres de membres d'une famille. Vili n'était pas pressé qu'Alrid se mette à agir comme ça, surtout avec autant de responsabilités pesant sur ses épaules. Il fallait qu'il lui apprenne tout ce qu'il devait lui apprendre rapidement avant qu'il ne se détourne de lui et trace sa propre route.

A la question du vieil homme, la jeune fille accepta tout en marmonnant. Ça démarrait très mal. Vili n'aimait pas beaucoup les gens de mauvaise humeur marmonnant dans leurs barbes au lieu de dire les choses en face. Sa franchise lui avait valu d'être bannis de chez les Dieux, mais au moins ne lui avait-on jamais reproché d'être faux et de tourner autour du pot. Le vieillard avait quelques fois des manières de détourner les sujets sensibles et d'orienter la conversation vers où il le voulait... Mais il ne fallait pas oublier que la somme de ses connaissances était bien trop dangereuse pour risquer de laisser glisser des indices sur son origine comme ça. Alors que Bilhild courrait déjà régler un autre problème sur sa propriété, Vili s'approcha de la jeune fille, sortant déjà des compresses et des petites bouteilles d'onguents de ses poches et de ses manches. Il tira un petit tabouret près de la jeune fille pour s'y asseoir. Il s'installa et s’étira un instant les jambes un instant. Le Dieu avait beau avoir des millénaires dans les pattes, les longues marches laissaient quelques fois ses mollets raides.

La jeune fille lui expliqua ensuite avoir fait une mauvaise chute et qu'elle avait du mal à marcher. Hochant la tête, l'herboriste commenta. « En effet, je peux comprendre que Bilhild ne veuille pas vous payer le même salaire que les autres si vous faites deux fois moins de travaux à cause de cette blessure. » Les jeunes voudraient toujours être les exceptions à qui on passait tout et à qui on donnait tout. Pas de chance, car derrière, Bilhild devait réussir à rassembler assez pour subsister et aussi faire survivre son pauvre mari sur la fin. Mais ça, la jeune fille n'en savait peut être rien, par manque d'intérêt ou par égocentrisme, tout simplement... Lorsqu'elle arriverait à l'âge honorable de la gérante, à devoir prendre des décisions difficiles pour garantir la survie de sa famille, elle réfléchirait peut être un peu plus à ses actions. Vili se pencha vers le pied blessé et le prit entre ses mains pour le lever un peu vers lui. « Dites moi si je vous fais mal... » Après tout, le but de l'opération était de guérir et non pas d'aggraver les choses. Tout en l'inspectant, l'herboriste se renseigna : « Vous avez l'air chétive pour les travaux de ferme dites voir... Vous venez d'où ? A voir votre âge, vous devez bien avoir un ou deux enfants déjà non ? » Avoir des enfants tôt garantissaient de la main d'oeuvre pour aider aux champs, à la pêche ou pendant les raides.

« Enfin, je dis ça... Vous n'avez pas vraiment l'air d'une paysanne, je dois avouer. Vos mains ne sont pas caleuses, votre peau et délicate et douce. Si je ne savais pas que cela fait quelques temps que vous travaillez pour Bilhild, j'aurais cru que vous seriez arrivé la veille. » Elle ne semblait pas taillée pour ce genre de travaux, c'était clair. Le physique ajoutant au caractère, Vili commençait à comprendre l'agacement de la patronne. Néanmoins, comme la gérante n'était pas du genre à s’embarrasser de personnes qui étaient des poids, cette personne devait certainement être assez efficace dans son boulot quoique un peu fragile. Mais chacun ses faiblesses et ses désavantages. Ceux de Vili étaient assez immenses, alors il ne pouvait pas se mettre à critiquer la blessée.

Malchanceuse chute

BEYLA BERTILDOTTIR - VILI BORSON

La gamine semblait ne jamais quitté cet air outré et surpris. C'était un peu déstabilisant et ennuyant car il semblait qu'elle n'était pas très habituée à se faire contredire. Vili avait déjà vu des attitudes comme celles-ci à Asgard où tout était garanti à tous les petits Ases pourvu qu'ils aient de jolis yeux. Aucune notion du travail comme labeur, seule possibilité de ramener du pain à sa table. Ca, c'était sûr que ce n'était pas les Dieux qui allaient mourir de faim ou même comprendre ce que ça voulait dire. C'est alors que la jeune fille commença à parler d'un type en expliquant qu'il n'était certainement pas au champ. Levant un sourcil pour considéré la jeune fille, le vieux sage se dit intérieurement qu'il aimait de moins en moins ce qu'il avait devant lui. Délation, rejet de la faute sur d'autres, impossibilité de reconnaître ses responsabilités... Décidément, il venait de rencontrer la jeune fille qui cumulait tous les défauts qu'il avait pu imaginer jusque là. Son arrogance et sa fougue à ne jamais admettre son tord et à le rejeter sur les autres polluait incroyablement son visage qui aurait pu être joli si elle avait perdu toutes ces expressions hautaines.

« He bien... Une chose terrible ? Je ne savais pas que la délation faisait aussi partie des valeurs vikings... » Elles n'en faisaient pas partie, non. Elles étaient même tenues à une place relativement détestable. L'honneur n'était pas quelque chose à disputer à coup de rumeurs ou de on-dits. Cette jeune fille ne semblait pas connaître particulièrement les bonnes convenances sociales aux vues des annonces toujours plus exaspérantes qu'elle disait. Vili, pour essayer de diminuer son agacement face à la jeune fille, se concentra sur son travail pour essayer de trouver le nœud qui devait s'être formé à l'endroit où elle s'était foulé la cheville. Après ça, un petit bandage avec une crème et il s'en irait loin de cet enfers. Quelle pauvre Bilhild, qui devait, tous les jours, gérer des querelles d'enfants en mal d'attention.

Grimaçant alors que le Dieu Déchu l'interrogea, la gamine répondit qu'elle avait eu mal juste là. Hochant la tête, Vili observa de plus près l'endroit douloureux. Il reposa le pied de la jeune fille à terre et commença à sortir de ses manches et poches, plusieurs objets. Une petite boite en bois, des bandages en feuille et tissus et quelques onguents. Alors qu'il pensait simplement faire la conversation de manière innocente sur les enfants potentielles de celle qu'il guérissait, elle se mit à crier et à faire référence à une personne qui était inconnue à Vili... Décidément, cette jeune fille n'avait aucune idée de comment mener une conversation... Ou parlait-elle de l'autre de toute à l'heure. Comprenant que la jeune fille ne voulait pas discuter, il ne dit rien et commença à compiler une de ses préparation sur une feuille sèche, l'appliquant à l'aide d'un bâton très fin. La gamine se remit à parler en expliquant venir d'un village très loin et que ses parents, étant marchands, n'avaient pas énormément d'argent ou de provisions. Hochant la tête,le vieux était concentré sur sa mixture gluante. La composition sentait les herbes, une odeur épicée et âcre chatouillait légèrement les narines.

La gamine s'exclama ensuite encore une fois que ses parents étaient marchands. Relevant la tête, l'air un peu décontenancé, le vieux dit « Oui oui, je vous avez entendu la première fois jeune fille... » Décidément, qu'il avait hâte d'en avoir finit et de sortir d'ici... Finalement, l'enfant lui indiqua qu'elle n'était pas là depuis bien longtemps et qu'elle avait glissé sur un caillou avant de se reprendre comme si elle avait dit quelque chose d'étrange. Vili décida d'ignorer les humeurs étranges de la jeune fille pour terminer d'étaler la pâte. Finalement, il reprit son pied, le posa sur un tabouret tout près et appliqua la feuille sur l'endroit douloureux alors que la jeune fille lui demanda de ne pas dire aux autres qu'elle était tombée. Ne comprenant décidément rien du tout à ce qu'elle disait, Vili, les sourcils froncés, demanda « Mais... On m'a dit qu'on vous avait apporté ici... Ca veut dire que les gens savent que vous êtes tombé vous savez... Et puis, j'ai d'autres choses à faire que de parler des gens qui sont tombés au champ aujourd'hui. » Surtout au sujet d'une personne qu'il appréciait de moins en moins.