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Rumeurs
- Var a tourné le dos à son roi. Il parait que la déesse des Pactes préfère aujourd'hui les grosses faveurs de Frey !

- On dit que depuis que Tyr a pris les fonctions de son frère aîné, personne n'aurait encore osé lui proposer un coup de main .

- A Tromsø, on hésite à dire si la petite Brynja est maudite ou chanceuse, car après avoir manqué de se faire brûler vive par un dragon, elle a manqué par deux fois la noyade, dont une durant les raids !



 
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 De chair et d'acier [Jörd]

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MessageSujet: De chair et d'acier [Jörd]   De chair et d'acier [Jörd] EmptyLun 22 Déc - 3:28

De chair et d'acier

DARAKAN FT. JÖRD

***

Il s’en était retourné loin lorsque sonna le glas de ce sanglant désordre. Prestement, il avait délaissé bouclier et épée pour fuir l’air putride qui trônait en ces lieux, préservant de surcroît ses globes de l’horreur qu’avait semée sa détermination. Qu’on le juge pour couardise, il n’en avait cure, trop épouvanté pour définir sa sortie précoce synonyme d’égoïsme, trop las de cette violence pour porter secours aux victimes. Tout ce que le Sommeil souhaitait par cette fuite innée se résumait en un zeste d’accalmie pour panser et son esprit, et son cœur qu’il sentait tous deux fondre dans le poison latent de ses regrets. Au grand galop sur sa bête tout aussi recrue, il parcourut une distance considérable pour se retrouver dans la forêt, et ne mit fin à son périple que lorsqu’il jugea que les remugles rances de la mort ne le pourchassaient plus. À ce moment seulement, sa botte retrouva l’herbe verte, mais ses jambes, à nouveau accablées de leur faix, ne purent tenir le temps d’une foulée qu’elles plièrent jusqu’à ce que rotules et paumes touchent terre. Une gerbe de sang éclata contre la verdure jusqu’alors vierge et la douleur percuta tout son avant-bras droit dans un éclair fugace, mais ô combien mordant. La collision avait ravivé l’importante taillade à sa main dextre, œuvre d’une lame dont il regrettait amèrement le manque de précision. Une question d’angle et l’on aurait pu mordre son poitrail pour l’en déchirer le cœur, le libérer de ses pénibles sarments. Au lieu de quoi, le fatum jugea plus cruel de le laisser tergiverser avec ses démons plutôt que d’abréger son existence.

À la suite d’un ultime effort, Darakan réussit à quitter sa misérable posture pour soulager son rachis contre un grand rocher. Malgré qu’une seule blessure soit étayée par le corps, il sentait chaque muscle, chaque joint, frappé de fatigue et prisonnier d’une roideur propre à l’effort continu qu’exigeait le combat. C’était comme si sa charpente était de bois et qu’une vermine la rongeait à petit feu. Il avait refusé l'hospitalité des maisons de guérison, voilà qu'il en ressentait les conséquences. Mais cela ne lui importait pas de s'affaiblir, c'était si peu payé pour les crimes commis. Combien de frère ou sœur avait-il occis dans la mêlée, persuadé que leur vie valait ses idéaux ? Il en avait malheureusement perdu le compte, entre deux élans que prit son épée au nom d’une justice injuste. Car rien ne pouvait être plus inéquitable que de faucher des innocents qui n’agissaient que par obédience envers leur royaume. Son désir de vindicte dissolue dans son coût horrifique, ne restait plus que sa lucidité pour admirer le désastre qu’il avait sciemment encouragé au détriment de choix plus sages. Avec précaution, il défit sa cuirasse et la retira, grimaçant d’une douleur que réveilla son geste. Tout était peint de sang, tissus comme armure ; tout empuantissait la mort et faisait gonfler en lui le désarroi dont il était ivre. Après avoir jeté les morceaux non loin, il couvrit son visage de sa main indemne, terrassé de la plus impérieuse honte, se demandant par quels sombres layons il avait pu privilégier l’hémorragie à une solution plus pacifique. Oh, mais en son for intérieur, sous les dernières taches de loyauté et d’amour qu’il préservait de la houle de ses regrets, Darakan savait quelle était son erreur ; elle portait le nom de Jörd. Jörd que l’on avait perdue dans cette geôle de Svartalfheim ; Jörd qui entraina il-ne-savait combien d’âmes à emprunter le chemin escarpé des représailles ; Jörd qui fit couler le sang pour cueillir le piètre fruit de sa maigre victoire ; et Jörd, qui ne fut, au final, jamais là pour le conforter.

Des heures filèrent où il ne remua pas d’un iota.
Puis des bruits de pas, la rumeur d’une venue dans les vents, et le musc familier qui gonfla ses narines et happa son esprit. Le Sommeil s’extirpa de sa léthargie et guigna par-dessus son épaule la silhouette de la Terre. Belle malgré la déprime qu’il voyait incrustée dans ses traits, l’on sentait les démons la hanter tout autant. Il détourna son regard immédiatement pour mirer le panorama que leur offrait l’apex de la colline où il avait élu domicile. Le ciel ne ruisselait plus depuis la fin de la guerre, et les nues, chassées par les bourrasques, avaient laissé leur trône aux rayons diurnes que crachait un astre nouvellement né et qui se faufilaient abondamment à travers le crin touffu des immenses arbres. « Te voilà enfin, ma sœur. » dit-il, lapidaire. D’une sérénité frangible, Darakan avait eu tout son temps pour pétrir ses problèmes et débusquer ses émotions. Il brûlait en ses entrailles un feu qui enflait, et son esprit, en proie aux orages que semèrent la présence de sa sœur ici, cherchait un moyen de taire la tempête. Mais les autans avaient eu le loisir de se lever et de gonfler, l’humeur de s’envenimer, et si rien ne laissait transparaitre ses soucis, il sentait la colère guetter. « Où donc étais-tu ? » Pendant que je tuais en ton nom et que je brandissais fièrement ton oriflamme.
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MessageSujet: Re: De chair et d'acier [Jörd]   De chair et d'acier [Jörd] EmptyDim 28 Déc - 14:18


J
örd a toujours cru que sa souffrance, le sempiternel chaos des sentiments qui l'habite depuis le millénaire dernier, n'aurait pu trouver pire - fatalité qu'elle ressasse jusqu'à l'injonction, dans l'espoir de retrouver ce bonheur qui lui a échappé. La femme jadis fort sereine à cru en la guerre et au sang pour retrouver son statut, pour mettre la main sur cette vie qu'on lui a volé, mais il n'en est pourtant rien. Combien de familles a-t-elle précipité dans son désarroi ? Combien de familles a-t-elle entraîné dans sa chute ? La Terre est hébétée, furieuse contre elle-même, haineuse envers Odin, désespérée par l'état de son fils et heurtée par le chagrin de sa belle-fille. Elle a vu la rage qu'elle et son conflit ont distillé dans le coeur des mères - Ràn, Frigga. Elle n'est pas la seule fautive, évidemment - Odin a précipité sa perte en sacrifiant des vies pour la quête obscure du royaume. Peut-il espérer être compris, lui qui n'a laissé aucune transparence dans ses intentions ? Lui qui s'est entêté dans d'obscures décisions que peu ne peuvent comprendre. Après avoir écouté les discussions houleuses entre les différents partis d'Yggdrasil, Jörd, aussi évanescente qu'un esprit égaré entre les murs du palais, s'est effacée dans les couloirs jusqu'à atteindre les abords des colonnes de nacre. Odin a ouvert les maisons de guérison aux blessés, qu’ils soient Elfes, Ases ou Vanes – et bon nombre de ceux qui se sont battus pour elle s’y trouve dorénavant. L’image de son fils alité sur la terre sombre de Svartalfheim ne cesse de lui revenir à l’esprit, la douloureuse lance du paternel fichée dans son abdomen meurtri. « Mais qu’ai-je fait ? » Susurre-t-elle, le regard plongé vers la Cité Eternelle assombrie par les mauvais augures. Elle se sent nauséeuse, malade et ne peut s’imaginer rester dans la demeure qu’elle a tant couverte d’opprobre. Elle redoute de croiser la princesse Sif, folle de chagrin de voir son époux oscillant entre la vie et la mort, alors que plus loin, un innocent poupon pleure l’absence de ses parents retenus si loin. Elle a tout gâché. Elle a saboté leur bonheur et elle craint de ne pouvoir se le pardonner. Aliénée par sa détresse, battant des bras dans la mélasse de ses affects ténébreux qui l’enlise plus encore dans le désespoir, Jörd songe brutalement à Darakan – son frère, qu’elle a laissé sur le front sans même l’informer de ses intentions. C’est une crainte brutale qui l’assaille, lui aussi aurait-il été blessé durant l’affrontement ? Pire encore, aurait-il été tué en portant l’étendard tâché de sang de la Terre ? Le murmure étreint ses lippes, gonflé par le vent qui déambule dans l’étoffe de sa robe teintée de vermeil. La Déesse s’esbigne de l’architecture qui retient les heurts et l’angoisse des familles. La complainte des blessés se fait dès lors lointaine et Jörd s’enfonce dans le tombeau de végétation qui lui ouvre les bras. Elle tourne le dos au cauchemar qu’elle a semé, les racines exsangues ont finalement réussi à se refermer sur le beau palais au devoir de puissance.

Jörd cherche et appelle d’une voix à peine audible les petites créatures qui la fuient depuis que l’odeur entêtante du sang macule les terres sacrées. Ses yeux et ses oreilles, ces innocents qu’elle a pris pour ses pions tout au long de son retour fracassant. L’un d’eux ne tarde pas à pointer le bout de son nez, dissimulé derrière un tronc ébréché qui tend vers le ciel. La Terre s’agenouille et ouvre ses paumes de manière prévoyante pour accueillir la petite créature qui, cependant, hésite. L’expression de la belle se fige – son air hébété, l’estafilade qui court le long de sa pommette, l’étoffe noyée dans la fange qui ne saurait effacer l’ichor du Tonnerre.
« Je t’en prie, trouve-le. » Souffle-t-elle au Nisse qui semble inquiet, chagriné par l’expression décomposée de la Terre. Il disparait bien vite dans les frondaisons et elle reste là, immobile, à fixer la nature, sans l’étreindre de quelconque manière – se contentant de l’observer suivre son cours. Ça parvient même à l’émouvoir, à remuer toute cette rancœur une dernière fois pour la dilapider dans un sanglot éreinté.

Sain et sauf. Jörd ouvre et clôt ses paupières lourdes de chagrin. Si Thor, son fils, est en train de livrer le plus grand des combats de toute une vie, Darakan ne semble pas avoir été blessé. Le Nisse est revenu vers la Terre et l’a trouvé au même endroit qu’il l’y a laissé – enlisée dans la fatigue et le désespoir, en proie à cette nature qu’elle s’est enhardie à façonner depuis sa naissance. La créature lui a murmuré la présence du Dieu des Songes, plongé dans une retraite obscure non loin de là. Jörd soupire de soulagement mais sent ses entrailles se nouer. Elle l’a laissé sur la plaine de Nornheim, sans même lui expliquer ses propres plans. La crainte de le voir rembruni par la distance qu’elle a mise entre eux l’inquiète surtout qu’elle ne peut imaginer à quoi son frère s’est confronté. Elle met peu de temps pour sinuer entre les arbres paresseux, grimpant le long d’un flanc abrupt pour déboucher sur une colline surplombant le paysage tranquille baigné d’une lumière diffuse. Lorsqu’elle voit la silhouette familière de Darakan, Jörd se sent happée par une réminiscence douloureuse – cette angoisse de petite fille, désirant courir jusqu’à lui pour se lover contre la présence rassurante de celui qui veille. Les traits tirés, les yeux humides de larmes qui ne sauraient couler le long de ses joues creuses, la Terre scinde ses lèvres mais se trouve incapable d’articuler le moindre mot. Elle a saisi le regard que vient de lui jeter le Dieu des Songes et reste transie d’une froide appréhension.
Te voilà enfin… Même si la prononciation laconique semble acide et glaciale, Jörd ne peut croire en ce qu’elle entend. Où donc étais-tu. La belle avance d’un pas puis d’un autre avant de se figer à nouveau, mains nouées contre la panse, cheveux dégringolant en crinière hirsute le long de ses épaules. Elle ne sait par quoi commencer, elle ne sait quelle voie emprunter. Prévenance, inquiétude, souffrance. « Pardonne-moi. » Prononce-t-elle finalement en s’approchant, les yeux rivés sur l’aura inconnue qui brouille la silhouette masculine. La colère, Jörd ne l’a connait que trop bien, mais pas celle du grand frère qui a toujours pris soin d’elle. Elle veut abattre ce rempart effrayant qui se dresse quand elle, a besoin de réconfort. « J’étais là où tout a commencé pour espérer y mettre fin. J’espérais tuer Odin, à Svartalfheim. » Même si la prononciation est téméraire, elle se trouble dans une modulation d’impuissance. Jörd contourne Darakan pour se dresser face à lui et elle le détaille avec précaution. Lui aussi, est défiguré par le sang. Par le remord. « Mon frère, dis-moi que tu n’es pas blessé… » Elle plonge vers lui pour lui saisir les mains, explorant de l’autre le visage masculin pour s’assurer que nulle blessure ne le meurtrit. Elle voudrait faire taire la rancune d’une étreinte familière – douce et innocente, mais se heurte à l’horreur distillée par son combat. Pour lui aussi, elle a tout gâché. « J’aurais tant aimé mettre fin à tout ça, en le tuant. Darakan… Je suis allée là-bas pour l’affronter. Mais Thor est venu… Mon fils s’est interposé. » Elle ne trouve pas le courage de poursuivre. Jörd replie ses bras contre elle et grelotte de chagrin, les images de son fils lui matraquant l’esprit. « J’ai tout gâché n’est-ce pas ? Ta vie, la sienne, la leur. »

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MessageSujet: Re: De chair et d'acier [Jörd]   De chair et d'acier [Jörd] EmptyMer 7 Jan - 4:44



Il y eut le brouillon d’un sourire déconfit frappé là, sur ces lippes que l’on crut scellées par le fiel. Il y eut aussi un tressaillement d’épaules abscons qui corrobora un rire muet. Ce fut un amalgame d’ire et de dépit dans l’expression fugace que Darakan manifesta lorsque chanta à son oreille la voix de Jörd pour lui apporter des palabres dépouillées de tout sens. Tuer Odin. Ces mots avaient fait leur nid sur la langue de sa sœur depuis sa libération comme un immuable leitmotiv aux notes contagieuses. Il avait fait sien ce dessein utopique, garrotant les cris de sa raison pour mieux répondre à leur violent désir de représailles. Ces mots, il les avait adoptés et colportés, et ce n’était pourtant que maintenant qu’il constatait leur vraie couleur : celle de la vésanie. Ils auraient dû savoir dès le départ que cette voie était sombre et truffée d’étocs, qu’elle menait inexorablement à une impasse. Mais aveuglés par leur colère, ils n’avaient rien vu venir, courant derrière leur objectif comme des clébards pour un os. Quand Jörd se pencha pour saisir ses mains, le Sommeil eut un léger mouvement de recul, mais se ravisa. Sentir la caresse de ses doigts sur son derme le rassura, nonobstant la rancune. « Non. Enfin… » Il libéra sa dextre endolorie par l’entaille subie. « Ça guérira, ce n’est rien. » Ils étaient presque indemnes, tous deux. Mais Darakan avait mal, mal à l’intérieur. Blessé par sa sœur, par ses crimes, il se sentait aussi mort qu’un de ces nombreux macchabées jonchant encore les plaines de Nornheim. Soumis aux chancres de son cœur, seule le gardait en vie sa colère, brasier muet au creux de sa poitrine.

« Mais Thor est venu… Mon fils s’est interposé. »

Silence. Nul besoin de s’épancher en explications pour lire dans le mutisme les nouvelles accablantes qu’elle ne put formuler. Darakan fut un zeste médusé, puis comprit. Du reste, il n’en saisit que de nébuleux murmures. Adieu les glaces que l’on crut pérennes sur ce faciès naguère berceau de sérénité. La placidité fondit sous l’explosion de son fiel, qui affûta ses traits pour les muer en lames de rasoir. Sur cette dernière palabre, tous ses remparts s’effondrèrent subito, déversant le magma de son ire dans l’arantèle de ses veines, lequel escalada la charpente rouillée du Sommeil pour lui battre les tempes et éclater toute retenue. Si ses yeux avaient été des épées, il l’aurait empalée sur-le-champ ; si sa mâchoire avait pu glavioter quelque gerbe de feu, elle aurait fissa cramée, mais au lieu de quoi seule sa dextre ensanglantée parvint à lui porter préjudice lorsque les doigts devenus serres enrobèrent violemment le bras frêle de sa vis-à-vis. « Que s'est-il passé ? » Sa voix ne portait plus la chaleur réconfortante d’antan ; son verbe n’était plus un baume à ses affres, il n’était guère ardu de distinguer le cortège d’accusations mussées sous cette simple question. Jamais il ne lui vint en tête que le timbre fielleux de sa voix pouvait l’effrayer, ou que la force qu’il exerçait dans sa solide poigne était de trop, non ; tout ce qu’il vit à ce moment, ce fut une inculpée à lyncher. Face au silence, l'impulsivité gronda derechef, plus puissante que jamais. « Qu'as-tu fait, Jörd ?! » Sa main gauche atterrit sur l’autre bras avec la fureur plagiée de sa jumelle. Il la secoua brièvement comme si elle n’était plus qu’une vulgaire poupée de chiffon. Dans son esprit balafré des horreurs de cette guerre, Darakan supputait déjà le pire pour son neveu. Une pléthore de scénarios déambulait dans son crâne comme des cauchemars, gonflant ses appréhensions et sa colère. Son emprise était si peu maitrisée qu’il aurait pu la briser. Mais ses globes, devenus des chiens enragés trifouillant l’âme à la recherche des aveux de ses crimes, ne dénichèrent en elle que des landes aussi dévastées que les siennes. Cette tristesse qu’il trouva sous la peur et la culpabilité réussit à glaner un tant soit peu de raison, juste assez pour dompter le ressac de colère. Les menottes abandonnèrent leurs prises pour se nicher nerveusement dans son crin, et il dilata la distance en vue de juguler ses élans destructeurs.

Thor. Thor. Qu’as-tu fait à Thor ?

Des secondes ou des minutes, Darakan ne sut exactement combien de temps il demeura dos à sa sœur pour refouler la rage qu’il sentait hurler en ses entrailles. Sa langue brûlait de la questionner sur le sort du prince doré, mais il ne se sentait pas prêt à l’écouter. Que des grognements et des plaintes qui grimpèrent la trachée pour fendre de temps à autre la quiétude des lieux. Il avait du mal à aligner ses pensées dans le capharnaüm qu’était devenu son esprit. Si, pour l’instant, il ne voyait en réelle coupable que celle qui se tenait derrière lui, il savait bien, dans les abysses de son être, qu’il était en partie responsable. De courage il dû s’en parer lorsqu’il entama les prémices de sa redoutable question : « Dis-moi... Dis-moi qu’il n’est pas… » La crainte devint un étau à son cœur et brisa sa voix sur ce dernier mot. Il ne la regardait que du coin de l’œil, toujours dos à elle. Qu’importe s’il ne terminait pas, elle devait bien savoir. Ce n’étaient plus que des chuchotements empreints de trémolos lorsqu’il se lança sans autre forme de procès dans un impitoyable discours. « Il a donc fallu que ton fils saigne à son tour pour que tu entendes raison. Il a fallu que tous crèvent sous ta bannière pour que tu comprennes la folie de tes ambitions. Et maintenant, regarde-toi. Regarde-nous. Ce fut ta guerre. C’est ton œuvre. Ta faute. » Ses paroles, il savait qu’elles étaient des surins dans son cœur déjà bien abîmé, mais de les éructer lui faisait grand bien. Il ne lui fit pas l’aumône d’un dernier regard. Au lieu de tergiverser avec sa sœur, son intention fut d’enfourcher son cheval et de retourner à Asgard pour s’enquérir de l’état du prince. Projet un peu trop ambitieux pour son corps endolori. Ce dernier ne manqua d’ailleurs pas de le lui faire savoir, car dès la première foulée en direction de son destrier, il se sentit chanceler, se tint au tronc le plus près pour ne pas s’avachir de tout son long, et fut contraint de s’asseoir, cloué de fatigue.
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MessageSujet: Re: De chair et d'acier [Jörd]   De chair et d'acier [Jörd] EmptyVen 16 Jan - 17:48


U
n air insultant, une féroce lassitude et une distance infrangible - tout n’est que tumulte d’amertume qui la poignarde en plein coeur. C’est sûrement la première fois que Jörd se heurte à la décadence émotionnelle de son aîné, lui qu’elle n’ignore pas savoir se montrer taciturne sans pour autant se laisser gagner par un quelconque esprit revanchard. Avec elle, il s’est toujours montré patient et doux, oreille confidente qui se prête à chacune de ses lamentations sans rechigner. Plus que jamais depuis son retour elle s’est accrochée à lui, se harponnant à l’essence même de son bonheur tel qu’il eut été en tant que déesse juvénile. Elle était prisonnière de son carcan de créativité avant même d’être séquestrée entre quatre murs. Elle adorait passer son temps à palabrer avec celui qui se laissait étreindre par ses songes comme s’ils étaient les gardiens complices de leur monde respectif. Deux phalanges d’une même main.
Jörd essaie tant bien que mal d’abattre le mur abrupt de la mésentente. Darakan lui en veut et il en a le droit mais elle ne peut se résigner à le laisser s’engluer dans la solitude et dans la déception. Lorsqu’elle s’approche pour s’inquiéter des blessures reçues au combat, le dieu se montre réticent mais finit par s’adoucir. L’ombre d’un instant, Jörd croit à la miséricorde, cette notion qu’elle pensait innée dans le respect mutuel qu’ils entretiennent - et pourtant, la Terre la tue dans l’œuf, au moment où elle prononce d’une voix fébrile le sort indécis de son fils. Qu’importe la mine noire de son frère, elle doit lui révéler son échec, elle ne peut lui cacher ce qui la dévore, ce qui fait dorénavant vaciller sa psyché dans les limbes de la folie. L’homme en reste coït, évidemment. Silencieux, comme s’il n’avait pas saisi le sens de ses paroles, mais parfaitement lucide, en vue du faciès interloqué qui s’effrite sous l’affront de la fureur. Jörd n’a jamais douté de l’attachement viscéral que Darakan éprouve pour son neveu et la culpabilité sous laquelle il l’ensevelit d’un regard incendiaire la frappe de plein fouet. La gueule tiraillée par la rage, le dieu étreint violemment le bras de la Terre qui étouffe un gémissement. Jamais elle ne l’a vu dans un tel état, susceptible de la briser comme l’aurait fait le plus impulsif de ses ennemis. L’émail serré avec stupeur, Jörd tente de se dégager mais en vain. Il lui demande ce qu’il s’est passé et aucun mot ne franchissent les lippes féminines tordues entre émoi et colère. Il lui demande ce qu’elle a fait et les larmes d’impuissance se bousculent au bord de ses yeux. Comment peut-il la désigner fautive ? Elle n’a jamais voulu que Thor vienne se mêler de son règlement de compte. Elle aurait préféré mourir, transpercée par Gungnir plutôt que son fils pâtisse de cette confrontation. Son bras libre se retrouve vite agrippé à son tour par la deuxième paluche masculine et la Terre se liquéfie sous l’étreinte farouche de son vis-à-vis. Elle ne tente pas pour autant de se dégager, s’abreuvant de son fiel dans un mutisme effaré. Elle est dévastée et ose même espérer que Darakan mette fin au calvaire. S’il est furieux, qu’il lui rompe le cou, qu’il lui fasse payer les maux qu’elle a précipité sans hésitation sur la cité éternelle.
Les paupières se ferment, elle n’appréhende même pas et pourtant, les pognes finissent par la libérer de leur étau barbare. Jörd retombe à genoux sur l’herbe piétinée et offre une œillade morne à son interlocuteur qui dompte sa furie en prenant de la distance. Son regard échoue sur ses mains ouvertes, encore tâchées du sang de Tonnerre. Elle est harassée par les images qui la tourmentent - la carrure étendue, le pâle sourire vissé aux lèvres malgré la douleur. Puis la colère de Frigga, de Sif... Les miasmes de sa culpabilité. Lorsque Darakan ose l’interroger à demi-mots, son timbre grave modulé par l’appréhension, Jörd lève les yeux vers lui et continue de le détailler en silence. Que peut-elle lui répondre, elle qui ne sait même pas quelles sont les augures des facétieuses Nornes. Vont-elles lui ôter son fils pour la punir de s’être battue pour lui et pour avoir ensuite oublié ? Vont-elles lui arracher l’amour de son propre frère pour la punir à davantage de solitude ? Tout ça pour lui rappeler finalement, que sa malédiction c’est les autres. N’est ce pas sa propre pugnacité qui l’a libéré après tant d’années de captivité ? N’est-ce pas son amour pour Thor qui lui a donné la force de rompre les sortilèges du Père de Tout ? La vengeance est une force redoutable mais elle demande aussi d’en payer le prix - aller jusqu’au bout, tuer le bourreau, qu’importe ce que ça coûte. Le Dieu du Sommeil ne tarde pas à dérouler son laïus acrimonieux, l’imputant des massacres commis. Sourcils froncés et nez retroussé dans une expression sauvage, ravalant les larmes qui perlent au coin de ses opales, Jörd suit son interlocuteur des yeux. Il veut s’esbigner, manifestement écœuré de rester en compagnie de la sœur qui a fait vaciller le reflet si paisible d’Yggdrasil. Il s’insurge maintenant face aux ambitions qu’il a pourtant toléré et encouragé il y a une poignée de jours de ça. Le chagrin et la douleur s’estompent pour laisser filtrer un vent de révolte sur le faciès de la Terre. Phalanges douloureusement crispées contre ses paumes, Jörd se redresse pour toiser son frère. Il essaie de rejoindre son destrier mais échoue contre le tronc d’un arbre, éreinté et incapable de faire le moindre mouvement.
« Comment oses-tu me dire ça, mon frère ?! » La question sonne glaciale et le regard de la belle l’est tout autant. « J’ai brandi le poing pour faire payer l’instigateur de mes tourments. C’était mon droit, ma force. Comment crois-tu que j’ai pu ébrécher les sortilèges scellant ma geôle ? Il n’y avait personne à Svartalfheim pour m’aider. Personne pour fouiller terre et mer pour me chercher. J’ai du m’en sortir, seule. Et je suis restée, seule, durant mille cinq cent ans. » Elle s’avance vers lui d’une démarche saccadée, regard féroce mais voix étranglée par l’émotion. « Je n’ai forcé personne à me suivre dans cet affrontement ! Les Vanes se sont battus pour leur indépendance plus que pour me rendre justice. Angeya ne méritait-elle pas non plus que justice lui soit rendue ? Je ne voulais pas de ces morts, mais cette guerre était inévitable - nécessaire - car Odin a failli à sa promesse de souverain. » Elle se frotte le visage, essuyant un lourd moment de lassitude. Sous ses doigts, l’estafilade subsiste. La plaie de la honte. La marque de son échec. « Je ne voulais pas ça. Je ne voulais pas que mon fils s’en mêle. Odin a voulu me tuer tandis que Thor avait le dos tourné mais il est venu et... » Jörd baisse la tête et pousse un gémissement écœuré. « Je n’ai demandé à personne de mourir pour moi. Et j’ai échoué... » Elle n’a pu tuer le Père de Tout, elle n’a pu se venger, car comme les autres qui ont voulu se dresser contre lui, elle est faible. Une accalmie fait soubresauter son corps avachi et elle s’approche de Darakan, cherchant ses yeux des siens. « Pourquoi tu ne m’as rien dit, si mes ambitions n’étaient à ton sens que folie ? Ne sois pas hypocrite Darakan, toi aussi tu rêvais de voir Odin mort. » Elle soupire longuement et son regard se fait plus compréhensif, plus las. Elle reste figée dans une stature vacillante, comme une feuille malmenée par la brise automnale. Le désordre en elle est tel qu’elle ne sait plus comment y remédier. « Je suis désolée, de t’avoir fait enduré ça. Que ta loyauté envers moi t’ait abimé de la sorte. J’en comprends maintenant le danger. Mon fils, par loyauté, a voulu sacrifier sa vie pour sauver la mienne. Je regrette. » Un soubresaut secoue les fines épaules, la déesse étouffe un sanglot mais reprend contenance. « Veux-tu que je disparaisse, Darakan ? Que je te laisse là, seul face à tes affres ? Moi je ne veux pas, mais si c’est ce que tu désires... Je n’ai jamais forcé quiconque à se battre pour moi et je ne forcerai personne à m’aimer. » Pas même toi... Qu’elle pense amèrement.



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MessageSujet: Re: De chair et d'acier [Jörd]   De chair et d'acier [Jörd] EmptyLun 2 Fév - 0:47


Dans le silence qui fit écho à sa question, Darakan y lut l’inconnu. Vague et nébuleux, il s’ensuivit que l’interrogation resta en suspens et les inquiétudes se firent légion. Rien ne pouvait être pire que de patauger éternellement dans les terribles appréhensions fomentées par l’esprit ivre d’horreurs. De ne pas connaitre l’état précis de Thor ni de savoir, au moins, s’il respirait encore à cette heure, ajouta à sa colère bien engraissée par tous les revers qu’ils essuyaient maintenant le cauchemar terminé. Jörd était ébranlée, incapable de prononcer un seul mot pour chasser les nuées d’angoisse qui les envahissaient ; aussi le dieu du Sommeil, enfin conscient de son lamentable état, décida de ne pas s’étendre sur le sujet, sachant pertinemment que toutes autres explications ne visant pas à mettre au clair la situation s’annonçaient stériles. Tout ce qu’il restait à faire, dans l’instant, était d’accompagner Thor en pensées, sa vie reposant très certainement entre les mains des meilleurs guérisseurs du royaume. Mais si ce brin de sagesse lui conseilla la confiance et l’espoir, sa mâchoire se contracta néanmoins sous le poids de ses affres et il crispa si fort son poing endolori qu’il en fit tomber plusieurs larmes de sang.
Il n’était probablement pas le seul à réagir avec autant de véhémence. Sif, Frigga, toutes ces familles endeuillées, combien d’autres encore avaient reproché à Jörd ce regrettable événement ? Combien de remontrances pouvait-elle encore porter sur ses épaules déjà écrasées par sa propre culpabilité ? Ces questions, elles effleurèrent son esprit, mais ne réussirent à y faire germer la compassion parmi la colère qui rôdait toujours. Plus discrète, plus maîtrisée, toujours ancrée en lui pour il ne savait combien de temps encore, lui dont la rancune l’enchainait à un ressentiment persistant. Quand la Terre se révolta, provoquée par son discours incisif et injuste, le Sommeil se frotta les tempes, peut-être envieux de fuir cette confrontation, voire cette raison, laquelle revenait à petit feu se loger dans son encéphale pour lui rappeler qu’il était en partie responsable de ce qui était advenu à Thor.

Les explications se déversèrent sur le brasier brûlant en ses entrailles afin d’en calmer davantage les crépitements. Le regard qu’elle lui jeta, pour peu qu’il osât ouvrir des paupières, se parait d’un courroux aussi évident que les trémolos que portait sa voix sous le fardeau des émotions multiples. Dans son propre emportement, il avait soulevé les autans de révolte chez sa sœur et maintenant, devait faire face à la réalité que vivait celle-ci. Tout ce qu’elle lui dit, Darakan le savait déjà, sous ce voile d'ignorance qu’il arborait depuis la fin de la guerre dans son rôle factice de victime. Bien sûr qu’elle y avait droit, à cette option de vengeance. Lui-même en avait épousé l’idée dès sa sœur libérée, dès le truisme révélé. Aussi, de l’accaparer d’accusations pour avoir voulu cueillir sa justice, aussi sanglante fût-elle, n’était au final qu’une diatribe qu’il se faisait à lui-même pour en avoir encouragé la voie. Rien de tout cela n’avait été voulu, mais tout était déjà signé inévitable pour peu qu’on prît la peine de soupeser les conséquences de leurs ambitions — choses qu’ils avaient omis de faire jusqu’à ce que la fatalité fasse son œuvre. Quand bien même il lui laissa l’opportunité d’évider son cœur, sa langue brûlait d’ergoter sur certains mots, certaines paroles qui entaillèrent la chair de son palpitant et le firent déverser davantage de sang sous ce poing tendu et douloureux. Les excuses, baume à ces plaies nouvelles et à cette colère qui fluctuait au gré des palabres, lui donnèrent l’air coupable. Pourtant, le poison de sa rancune continuait de lui incendier les tripes, le forçant bien vite à répondre pour au moins donner les raisons de sa survie dans ce nid de sérénité qu’il avait coutume d’arborer : « Je t’ai cherchée, Jörd. J’ai remué tous les mondes pour te retrouver, alors que dehors on souillait ton nom et on croyait dur comme fer à ta trahison. JE. T’AI. CHERCHÉE ! » Sa voix gronda et son index s’écrasa contre son poitrail. Un pic de colère qui corroborait toute l’étendue de ses blessures. « Odin t’a volé mille cinq cents ans, mais ce furent aussi mille cinq cents ans que j’ai sacrifiés pour te retrouver. Depuis le tout début, j’ai été là pour toi, dans tes petits malheurs ou tes grandes déceptions, j’ai été ton ombre qui te suivait au pas. Avec moi, jamais tu n’as été seule. » Un silence se distilla où il darda un regard franc et triste à sa sœur. Puis les yeux tombèrent sur leurs mains entachées et sa voix fut assaillie de nouveau par le remords. « Tu sais tout cela. Et malgré tout, tu as préféré partir de ton côté en me laissant dans la bataille. Après autant d’années à marcher à tes flancs, à t’appuyer aveuglément dans tes ambitions que je nourrissais avec la même ferveur que toi, tu m’as abandonné, préférant affronter seule ton cauchemar. » La vue embrumée, la rage contenue arrimée à ses lippes, sa main revint chercher celle de Jörd, cette fois avec une douceur plus familière ; il en étreignit les doigts avec la peur qu’elle se dérobe de nouveau. « Quand tu es partie affronter Odin, j’ai su que c’était une erreur, comme cette fois où tu m’as annoncé être tombée éperdument amoureuse de ce grand Roi. Mais c’est chaque fois le même refrain. Tu prends tes décisions, tu n'en fais qu'à ta tête et je suis condamné, sans cesse, à te regarder me quitter avec la crainte de ne plus jamais te revoir. Et toujours, je paye le prix de ton indépendance ; mille cinq cents ans à essayer de te retrouver, des années à tenter de réparer ton erreur, et une éternité m’attend où je serai hanté par les fautes semées. Tout cela pour toi. Tout cela par amour pour ma sœur.» Darakan libéra la main de Jörd comme s’il décidait enfin à la laisser partir, réponse en filigrane à sa toute dernière interrogation. « Je suis fatigué, Jörd. » Ces mots, ce n'était pas la première fois qu'il les lui transmettait, mais cette fois, il s'agissait de bien plus que d'un manque atroce de sommeil. Son corps ne suivait plus le rythme et son cœur était las de commander.
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MessageSujet: Re: De chair et d'acier [Jörd]   De chair et d'acier [Jörd] EmptyVen 20 Fév - 0:02

N'est-elle pas lasse de se justifier ? N'est-t-elle pas éreintée de devoir se battre sans cesse ? Que ce soit contre son fils pour lui faire entendre vérité, contre le royaume d'Asgard qui préfère se vautrer dans l'ombre de son suzerain plutôt que de reconnaître l'injustice commise. Et maintenant, voilà qu'il s'esbigne, celui en qui elle a toujours cru compter. Il a le droit d'être en colère car dans son malheur elle a refusé d'être digne et pudique. Elle l'y a traîné et elle a versé le sang, d'Ases, de Vanes et d'Elfes. Son coeur ne cesse de gémir, l'écorchée veut seulement que ça se termine. Et les yeux de Darakan représente un gouffre de terreur pour elle - tant qu'elle n'ose plus regarder de peur d'y voir son reflet emprisonné. Odin a noirci son âme et elle a corrompu son aîné.
Elle y pense à tous ces coeurs meurtris, elle y pense à toutes ces familles qu'elle a impunément déchiré. Elle sera probablement le souffle d'un nouvel élan vengeur - car tout Asgard a saigné par sa faute. Doigts repliés contre ses joues blêmes, yeux humides de colère et de chagrin, Jörd secoue la tête lorsqu'elle entend son frère riposter froidement. Il affirme qu'il l'a cherché avec une telle ferveur, que malgré sa mauvaise foi, elle ne peut que le croire. Il a toujours veillé sur elle, il a toujours souffert de la voir s'éloigner et Jörd sent la fièvre la gagner. La fureur, la douleur. Elle voudrait se laisser tomber sur les genoux et hurler à pleins poumons. Elle voudrait rugir, sangloter et pleurer parce qu'elle n'en peut plus des émotions qui se bousculent dans sa poitrine. Au lieu de ça, ses bras retombent le long de ses flancs, et son menton s'incline vers le sol. Elle observe la terre remuée, ressent la sérénité contemplative de la nature et inspire profondément pour être capable de confronter ses prunelles à celles de son frère. Avec moi, jamais tu n'as été seule. Ses paroles la percutent de plein fouet et elle se fige de stupeur, tandis que Darakan délie l'évidence dans une triste constatation. Elle l'a laissé, une fois de plus. Quand elle a rencontré Odin et quand elle a voulu l'affronter. Ses paupières se froissent dans une mimique affligée alors que sa main épouse son ventre. « Pardonne-moi Darakan...» Elle se confesse à demi-mots, la gorge nouée par la culpabilité qui reprend le pas sur la colère. Sans cesse tiraillée par ses affects, souffrant de la solitude qui n'a engendré que folie, Jörd ne sait plus quoi penser. Tandis que son esprit s'enlise de nouveaux dans les souvenirs, la déesse sent des phalanges se nouer aux siennes. Un sursaut d'espoir ranime sa frêle carcasse avant que les mots ne l'incisent à nouveau. Lippes entrouvertes, Jörd reste immobile, glacée par les paroles qui la dépossèdent de tout bon sens. Darakan en a trop fait pour elle depuis toujours, à tel point qu'elle ne s'imagine pas vivre sans lui. Et pourtant, bien qu'il soit resté son circonspect confident, il a aussi témoigné de ses réticences face à ses impulsivités de fragile déesse. Elle ne l'a pas écouté et elle en a payé le prix. Les doigts épais du Sommeil s'arrache à sa menotte, frappant le faciès féminin d'une grimace de suppliciée. Il est fatigué de devoir la porter dans son coeur, las de s'échiner à la garder auprès de lui, et elle peut le comprendre. Cependant...
« Mais j'ai besoin de toi.» Elle articule ces mots, met le doigt sur cette vésanie qui, finalement la ronge depuis qu'elle a déferlé sur ce monde, elle la gamine émerveillée et créative qui s'est épanouie avant de s'être consumée. Un sanglot éclot aux bords de ses lèvres mais elle le réprime violemment. Elle tourne le dos et porte son coude contre ses joues tachées de poussière. « Je suis navrée d'être ce poison rampant dans tes veines, Darakan. Finalement, peut-être suis-je la vipère distillant son venin dans l'Arbre-Monde dont Odin parlait.» Son timbre gronde avec écoeurement. A quelques pieds sous terre, ça remue drôlement d'un coup. Les racines s'animent et viennent ramper sur le sol pour s'enrouler autour du Dieu du Sommeil. L'élan n'est pas agressif, juste suave et mesuré. Jörd jette un regard par dessus son épaule, vers ce frère contraint à l'immobilité. C'est la première fois qu'elle utilise son pouvoir contre lui - là première fois qu'elle entrevoit d'aussi près ce qu'elle est sur le point de perdre. « Je t'aime, bien plus que je n'ai jamais aimé Odin. » Elle s'avance vers lui, une farouche ténacité lui clouant les lèvres. Les racines ceignent les chevilles de Darakan et remontent le long de son poitrail comme des serpents venant siffler à son oreille. Et pourtant, c'est la Terre qui vient à se tenir devant lui, pressant sa joue contre la sienne pour pouvoir lui chuchoter. « Je t'aime assez pour t'éloigner de ma vengeance. Parce que tu es une de mes faiblesses et que je préférerai mourir plutôt que de te voir trépasser sous la lame effilée de mon bourreau. » Elle laisse reposer son visage contre le sien, fermant les paupières en songeant à ce qu'il lui reproche. « Sur le champs de bataille, tu avais toutes tes chances, face à Odin tu n'en aurais eu aucune. Regarde moi, j'ai si lamentablement échoué que si Thor n'avait pas été là, je serai tombée comme un vulgaire... Moucheron. » Elle achève sa diatribe par un grondement et visse ses doigts au menton de son aîné pour darder ses yeux dans les siens, des larmes de tendresse perlant dans ses cils. « Pour te protéger, je renoncerai à toi. » Elle aimerait que ce soit si simple et pourtant, elle a mis Asgard à feu et à sang pour que son fils lui soit rendu. Elle n'a pas hésité à piétiner toutes ses certitudes pour qu'il revienne vers elle.
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MessageSujet: Re: De chair et d'acier [Jörd]   De chair et d'acier [Jörd] EmptyMer 4 Mar - 2:24

Chaque mot qu’il avait impitoyablement prononcé était un aquilon courant à l’assaut de ce cœur fait de papier froissé. Un château de cartes qu’il avait ces années durant couvé d’attention et qu’il manipulait dorénavant avec une soudaine brusquerie, las du jeu et des impasses. Ce grand sensible qu’il était sentait chaque cahotement, chaque douleur éveillant peu à peu une fragilité qu’elle avait longtemps terrée sous une armure constituée de colère et de vengeance. C’était une fleur qui se cachait sous ce nid d'épines ; une fleur qu’il piétinait sans relâche pour le cruel besoin de libérer ses confessions après des siècles de silence. Une fleur qu’il aurait irrémédiablement voulu cueillir de ses mains salies par ses crimes. « Pardonne-moi Darakan. » La demande se tordit, se débattit presque pour trouver la sortie à ce tunnel étroit qu’était devenue sa gorge et finalement, résonna dans le silence comme le murmure brisé d’un chagrin personnifié. Par deux fois elle chercha le pardon auprès du Sommeil. Derechef, il ne réussit à formuler une réponse à ces mots, muet devant le fardeau de sentiments que portaient ces deux simples mots, écrasé par le poids de cette voix qui traversait avec peine les distances pour les happer de plein fouet, lui et son cœur. Son regard retrouva la garance de ses paluches ; cette vilaine entaille continuant de pleurer comme si dessous se mussaient toutes les blessures du monde. Comment pouvait-il lui pardonner s’il ne pouvait se pardonner à lui-même ? Trop fatigué pour ne serait-ce entrevoir un remède à la rancune. Cette terrible bête éclopée qu’il sentait gronder dès que le cœur témoignait fugacement d’un souffle d’amour et de compassion entre deux vues sur Jörd. Il avait besoin de temps, de cette panacée qui savait estomper les maux et les remplacer par l’oubli.

« Je suis navrée d'être ce poison rampant dans tes veines, Darakan. Finalement, peut-être suis-je la vipère distillant son venin dans l'Arbre-Monde dont Odin parlait. » Non. Une fleur, elle était une fleur. De cette comparaison ophidienne dont elle avait recours, inspirée des dires d’Odin, Darakan n’en entendit que des âneries. Nul poison ne fut déversé dans ses veinules. Il aurait tendance à définir ce mal dont elle parlait de philtre. Élixir que sa seule présence parvenait à injecter au plus froid des hommes pour les réchauffer et les entraîner sur la déclivité de moult tourments. L’amour était à la base de tous leurs problèmes ; Odin lui-même n’avait-il point succombé à sa malédiction ?

Le ressentiment gronda dans ses tripes, garrotant fissa un myocarde énervé pour tuer ce discours en devenir. Qu’importe, le Sommeil ne put placer mot puisque la forêt bougea, se tordant sur une parcelle pour s’extraire peu à peu de son oisiveté telle une armée de bras charnus animés par un squelette invisible. Les racines prenaient vie sous le commandement de la Terre, escaladant pacifiquement le fils de Naglfari pour lui porter une longue étreinte. Quand la surprise passa et qu’elle s’avança, il la supplia de cesser sa palabre : « Arrête. Ne dis pas cela. » Elle l’ignora, déposant au seuil de son oreille ses justifications quand se déchainait en lui cette bête piquée et provoquée par ces douces paroles, confrontée en duel à son cœur aiguillonné. Comment pouvait-elle prétendre l’aimer plus qu’elle n’avait aimé Odin si ces deux amours ne pouvaient se comparer ? Elle parlait un langage que Darakan avait grand mal à saisir et s'interdisait de comprendre. Elle parlait aussi sans savoir ce qui se mussait sous cette chair qu’elle effleurait de la cime des doigts. Hélas, son cœur, indomptable, sauta hors des griffes de la rancune, prêt à livrer son dernier argument. Qu’elle comprenne réellement ce pourquoi ses départs intempestifs le tuaient à tous les coups. Qu’elle voit l’inutilité de le garder loin des dangers si c’était pour le laisser tremper dans l'effroyable appréhension d'un non-retour et qu’elle constate tout l’empire qu’il lui dédiait dans les tréfonds de son être. La courte distance creusée entre leurs deux visages fut dévorée d’un rapide ploiement de la nuque et, un souffle plus loin, les lèvres se frôlèrent par l’initiative d’un palpitant affolé. Mais les écrins ne se nouèrent pas très longtemps, non. Juste assez pour expliquer toute cette dévotion, cette colère et ces erreurs qu’il lui avait témoignées durant des siècles et des siècles. Les racines immobilisaient avec soin le poitrail, astreignant les bras à l'inaction et la passion à la plus chaste expression. C'était un préliminaire frileux à une déclaration évidente, déclaration à laquelle les frontières de l'inceste n'autorisaient aucun retour.
Darakan ne chercha pas à se déprendre des entraves terreuses pour aller plus de l’avant. Il recula docilement après avoir cueilli un soupçon de délice. La honte de s’être mis à nu dans cette licencieuse volonté de sceller leurs lippes l’envahit vite quand bien même il n’en démontra qu’une profonde affliction. Il l’avait aimée comme il n’était pas permis à un frère d’aimer sa sœur. Sans cesse camouflé sous les apparats d’un amour fraternel, quelle traitrise de débusquer l'hypocrisie du sentiment. Il aurait voulu expliquer ses motifs, mais n’eut guère le courage de formuler un plaidoyer et ne se contenta que d’une simple requête après un important temps mort : « Libère-moi, Jörd. Je t’en prie. » murmura-t-il d’une voix moribonde, les yeux rivés au sol.
En lui, la bête avait cessé de rugir et le cœur, de commander. Ne restait plus que le silence insupportable comme un hymne funèbre à cette déchirante révélation.
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MessageSujet: Re: De chair et d'acier [Jörd]   De chair et d'acier [Jörd] EmptyJeu 12 Mar - 15:13




Quand Darakan a-t-il commencé à remettre en doute ses initiatives - lui qui lui a toujours témoigné son soutien avant ça. Jörd ne parvient à se dépêtrer de son désarroi, se heurte avec douleur au trouble habitant les calots de son aîné. Tous la pointent du doigt et voilà que Darakan désire lui tourner l’échine. Impuissante et enragée par cette incompréhension entêtante qui l’éloigne de tous ses proches, Jörd ne voit que manière de le contraindre à rester auprès d’elle pour lui avouer. Il est fatigué mais elle aussi est lasse d’être sans cesse remise en question, de se voir dépeinte dans le portrait d’une harpie vengeresse et inhumaine. A-t-elle eu tort de s’arracher à sa geôle pour exiger réparation ? Comment aurait-elle pu se rendre à son bourreau sans se battre et sans clamer haut et fort quel imposteur Odin faisait ? La vérité exige un prix - le prix du sang de leurs armées. L’on n’a jamais accusé le Père de Tout de faire valoir ses droits durant les batailles livrées en son nom, alors pourquoi devrait-on lui faire payer le dénouement ensanglanté sur la plaine de Nornheim ? Sa confession est abrupte mais sincère. Jörd estime que son frère a toujours été plus important que les faux-semblants menés par son cœur et les pulsions instiguées par sa curiosité. Il est l’œil bienveillant qui l’a regardé grandir et l’a aiguillé - il est le seul qui aurait pu la convaincre de ne pas s’approcher des murs titanesques de la Cité Eternelle. Pour lui, elle aurait pu renoncer à la civilisation et à toutes les tentations obscures des ambitions souveraines - s’il n’avait pas été le fils de sa mère, elle aurait pu. Le fait est que leur complicité a toujours été un point sensible. Jörd a toujours regardé Darakan avec tendresse et songé ô combien il aurait été paisible de vivre à ses seuls côtés. Assiégée par le tourment suite aux reproches énoncés de vive voix, la Terre dérive dans les eaux troubles de son affliction. Elle voudrait retenir le Dieu des Songes, le forcer à abdiquer, lui qui n’a jamais eu pour habitude de la traiter avec désapprobation. Et pourtant, elle se rend compte de la situation affligeante. Elle est revenue depuis peu et le voilà déjà las de la supporter - elle représente un fardeau, une chaîne harassante qui ne veut le laisser s’esbigner. Renoncer... Elle ne peut pas s’y résoudre, pas sans se battre. Cette geôle froide lui a siphonné bien plus d’un élan téméraire mais plus jamais Jörd ne veut se sentir aussi démunie. Elle caresse la joue de l’adonis qu’elle charrie d’une confidence éplorée avant de vouloir retirer le portrait de contre la mâchoire barbue. Elle reste néanmoins proche de son souffle, incapable de s’arracher à cette emprise - à ce regard miroitant d’un éclat qu’elle remarque pour la première fois dans les prunelles de son ainé. Passion. C’est alors que les lèvres de Darakan s’emparent des siennes dans un baiser licencieux, envoyant valser toute pudeur en l’espace d’un moment volé pour laisser cours à une étreinte fiévreuse. Happée par la surprise, la Terre peine à réaliser ce dont il est réellement question. Et pourtant, lorsque son frère se dérobe après l’avoir embrassé, la belle l’accompagne dans son geste sans même s’en rendre compte. Paupières à demi-closes, visage statufié dans une introspection évasive, Jörd reste figée durant une poignée de secondes avant de sentir sa respiration échapper à son contrôle. Elle s’écarte vivement, ses traits empreints d’indignation.

« Pourquoi ? » Ne l’a-t-elle toujours pas su dans la fond ? Ne s’est-elle pas rendue complice du moment où Darakan l’a mis en garde au sujet d’Odin ? Elle porte ses doigts à ses lèvres mais l’offense se dissipe dans la confusion. C’est le deuxième baiser qu’on lui arrache depuis son retour sur les landes asgardiennes. Un deuxième frisson d’envie teinté d’opprobre. Darakan fixe le sol, rendu coupable de cette ferveur maladive et il lui implore de le libérer. « Pourquoi as-tu fait ça ? » La question se perd dans un murmure attristé. Elle plaque ses mains contre son crâne, débordée par ses pensées tortueuses. Elle est en colère car il n’a su museler ces non-dits. Elle lui en veut d’avoir ébréché l’image qu’elle a de lui et surtout d’avoir réveillé en elle un instinct perdu dans les abysses de sa souffrance. « POURQUOI ?! » Elle rugit, braquant ses yeux humides de larmes en direction du dieu que les racines enlacent avec bien plus de férocité. Jörd regarde ses mains tâchées de sang séché puis les replient contre son buste. Son cœur semble exploser, une fois de plus. Ses illusions se brisent une à une pour ne laisser qu’une douloureuse réalité. « Suis-je maudite ? » Questionne-t-elle d’un timbre grave, au-delà des larmes qui roulent sur ses joues. « A m’aimer ainsi, tu ne peux que finir par me haïr. » Elle se mord les lèvres, abattue puis finit par poser les yeux sur son aîné. Il est accablé par le poids de la culpabilité, prisonnier des racines qui se sont faites ronces. « Je ne voulais pas te perdre. Pas toi. Pas toi... » Elle étouffe un gémissement avant de se laisser choir sur les genoux, inclinée vers la terre. « Que veux-tu de moi, Darakan ? Que veux-tu de plus que mon cœur ? Car je te l’ai offert, malgré toutes mes envies de rétablir la vérité. J’en ai fini avec ma vengeance. Il ne me reste plus que toi. Toi et Thor, c’est tout ce qui m’importe. Mais l’on ne peut s’aimer ainsi. Tu le sais. » Elle articule ces derniers mots en relevant le chef pour en revenir à l’homme. Ils ne peuvent s’aimer ainsi et pourtant le désir hurle dans ses entrailles en contradiction avec ses mots. Le visage de la Terre se fait plus dur, à la fois sévère mais plus triste aussi. Elle balaie l’air d’un geste de main et les serpents végétaux se retirent de leur proie. Les racines glissent paresseusement le long du corps du Dieu des Songes et finissent par disparaitre dans un bruissement de feuilles mortes. La passion mène à la fin. A la trahison. Et Jörd ne pourrait supporter de se faire tromper à nouveau.


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MessageSujet: Re: De chair et d'acier [Jörd]   De chair et d'acier [Jörd] EmptyMar 24 Mar - 3:28

Sans avoir à affronter du regard l’expression presque horrifiée de sa vis-à-vis, le Sommeil subodorait sans difficulté sa réaction dans le lourd silence qui les mura sur-le-champ. Il n’avait eu aucune expectation en s’élançant de la sorte contre la pulpe amarante de sa sœur. Qu’une envie toute simple de s’exprimer autrement que par les mots ; mots auxquels elle ne prêtait que si peu de foi à en juger par leur passé. Aussi, de pouvoir goûter une seule fois à l’arôme ambrosiaque de son amour impossible valait largement tout l’opprobre découlant de ce larcin, surtout quand il était sur le point d’abandonner ou tout du moins de s’y tenter. Trop de sacrifices et de tourments étaient nés de cette vésanie ; s’il ne lâchait pas prise maintenant, cette montagne de rancune qu’il nourrissait à l’égard de ses décisions et de sa sœur allait ensevelir leur relation et il serait emporté dans l’avalanche, sur les ruines de tout ce qu’ils auront bâti en tandem. À aucun moment, l’aîné n’osa guigner la Terre. Seulement par le timbre de sa voix, une déflagration de colère et de chagrin souffla sur lui, annihilant ce qui lui restait d’assurance pour faire germer les prémices d’un remords. Les questions de la damnée portaient les larmes qu’il ne voulait percevoir ; tout brisé était son phonème qui rugissait en la sylve comme une lionne blessée qu’on aurait insouciamment provoquée. Sa mâchoire se contracta pour mieux subir les accusations, car oui, elle l’accusait lui de ne pas avoir su garroter ce cœur, ou d’avoir perdu le contrôle sur des sentiments qui ont pris une propension interdite. Elle se disait victime dans cette histoire et lui imputait toute la responsabilité. Jugé en traitre, qu’il aurait préféré recevoir une sentence plus légère pour n’être qu’un complice dans cette affaire de cœur. Il serra des poings comme on crut entendre le grincement des dents et l’émail s’ébrécher sous tant de pression.

Par cette initiative chaste qui corroborait le fardeau de toute une existence, Darakan venait d’achever sa sœur pour son envie égoïste de cueillir une récompense à tous les maux subis en son nom. De prendre à l’amour un baiser, un seul, pour tous ces éons d’injustice sentimentale qui le démunissait coup après coup. D’un gémissement, elle demanda ce qu’il voulait de plus que ce qu’il avait, et cette question heurta son esprit avec tant de violence qu’une plainte s’échappa de sa gorge nouée et qu’il ferma cette fois ses paupières. Son faciès se défragmenta en une horrible grimace de chagrin. Son palpitant se mourrait parole après parole et dans sa tête, tous les griefs qui s’étaient dits en ces lieux, aujourd’hui, défilaient pour l’aiguiller sur une réponse à cette douloureuse question. S’il possédait bel et bien le cœur de sa sœur, il était incomplet ; évidé de quelque sentiment qui allait choir entre les mains d’un Souverain félon et qui, pourtant, lui serait revenu de plein droit normalement. Que d’égoïsme qui nimbait sa réflexion, mais trop d’injustice il avait subi jusqu’alors sans un mot dire, quand tout en lui ruisselait depuis des lustres d’une discrète, mais abominable tristesse. Il était un rêveur, et de croire en ces choses impossibles faisait partie intégrante de sa nature. Peu enclin à vouloir débattre sur le sujet, le cœur empalé, la voix éraillée par l’amertume résonna avec plus de calme qu’on ne l’aurait imaginé : « Je n’en veux point. » Ses globes vinrent mirer la sœur anéantie et dans ceux-ci, la résignation pointait. Il savait ce qui lui restait à faire, maintenant. « De ce cœur dont tu parles. Celui qui s’émiette entre mes doigts dès que tu penses avoir trouvé ton bonheur ailleurs. Celui-ci, il m’a fait bien plus de mal que de bien, ma sœur. » Un silence s’imposa, et une rage latente empreignit les mots suivants en même temps que ses muscles se braquèrent sous l’émotion : « Je l’ai tant détesté. Si tu savais à quel point… » Il préféra se taire, laissant en suspend moult ressentiments en la personne de Sa Majesté. Ses affects semblèrent offrir un zeste de carburant à son corps, car en prenant appui au tronc, il réussit à se remettre debout. Lentement, il s’approcha de la malheureuse Jörd. Sa dextre tremblante esquissa un mouvement en direction de son visage larmoyant, mais s’arrêta avant que les doigts ne s'alanguissent sur la joue, les repliant finalement contre sa paume sans la caresse escomptée. Puis, la dépassa sans un regard de plus pour trouver sa monture, laquelle reniflait tranquillement l’herbe non loin, indifférente à l’air chargé d’émotions. « Mais je t’ai entendue. On ne peut s’aimer ainsi. » laissa-t-il tomber avec une impassibilité nouvelle en enfourchant la bête. « Je ne veux pas risquer de te perdre une fois encore ; de te voir me quitter pour une énième fois. Je ne saurais l'endurer. Donne-moi le temps qu’il faut pour réapprendre à t’aimer comme un frère. Donne-moi le temps pour guérir de mes blessures. Et pardonne-moi si je me sens incapable de le passer à tes côtés. Je ne puis me rétablir en ta présence, quand tout de toi éveille mes maux. » Il éperonna doucement sa monture, les yeux dans la flotte et le cœur gros. Tout en s'engouffrant dans la sylve, il laissa échapper d'un murmure si peu audible, comme un noir secret ne pouvant être divulgué à quiconque un : « Je t'aime, Jörd. » qui ne survécut pas bien longtemps puisqu'il fut sitôt effacé par les vents.
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